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  • Toujours dans les limbes historiographiques :le cinquantenaire de Mai 68 au travers de quatre livres
  • Alban Bargain-Villéger
Monique Bauer, dir., Filles de Mai. 68 mon Mai à moi : mémoires de femmes (Lormont: Le bord de l'eau, 2018).
André Bertrand et André Schneider, Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même (Montreuil : L'Insomniaque, 2018).
Romain Cruse, Le Mai 68 des Caraïbes (Montréal : Mémoire d'encrier, 2018).
Richard Vinen, The Long '68 : Radical Protest and its Enemies (London : Allen Lane, 2018).

Dans Sans armes face à Hitler, l'historien de la résistance, Jacques Semelin, a évoqué le phénomène de la « création de son histoire par l'Histoire », compris comme « une autre façon de dire la résistance en l'inscrivant dans une culture du sacrifice, qui force le respect et légitime le discours de celui qui parle au nom des morts »1. Toute proportion gardée, cette si nécessaire et pourtant si compliquée coexistence, voire cohabitation, des survivants-témoins et des historiens s'applique aussi maintenant aux décennies 1960–1970. Bien qu'on ne puisse comparer l'incomparable, l'historicisation des mouvements politiques et socioculturels de ces années-là a connu et connaît encore des frottements historiographiques entre mémoire et histoire, autrement dit, une inévitable juxtaposition des témoignages et des sources secondaires rédigées par ceux et celles qui n'ont pas vécu ces événements. Cela n'est pas exceptionnel en soi, en [End Page 303] ce que le choc sujet-historien est inhérent à toute étude contemporaine.

Ce qui rend la période dite Mai 68 toujours problématique du point de vue historiographique concerne ses causes et sa nature. Comme l'illustrent les quatre ouvrages analysés dans ce compte rendu, le sujet reste vague et hétérogène, même après un demi-siècle. Alors que les articles et les livres sur les mouvements socio-étudiants de cette époque abondent, les questions liées à la périodisation de ces années restent ouvertes à la controverse. Mais au-delà des défis inhérents à l'élaboration d'une fenêtre chronologique, il est juste de se demander quelles sont les limites conceptuelles et spatiales de cette période charnière. En effet, de quel Mai 68 parle-t-on? Parfois, on serait porté à croire que les spécialistes ne comprennent pas cet événement (ou plutôt ces événements et mouvements globalement connectés) autrement que dans sa nature contestatrice et politique, car les difficultés liées à des définitions et à des délimitations nettes du moment 68 ne concernent pas que sa nature. Tantôt présentée comme une révolution, tantôt, comme une série de mutations sans véritables conséquences sur le ou les ordres établis dans le moyen terme, cette nébuleuse de spasmes sociopolitiques, culturels et économiques en plusieurs points du monde s'avère aussi compliquée à inscrire dans le temps que dans l'espace. Une approche globale et synthétique pour cerner Mai 68, ses prémisses et ses suites a tout d'une tâche ardue qui s'apparente à celle de s'engager dans une tentante mais interminable pêche à l'écrevisse. En effet, plonger le bras dans cette rivière implique forcément d'en retirer une farandole de prises à la queue leu leu, pinces et queues imbriquées dans un maelstrom dégoulinant. Ainsi, Mai 68 fait figure de synecdoque historique, entraînant à sa suite ses antécédents comme ses conséquences et avatars.

Les quatre ouvrages présentés ici reflètent les écueils conceptuels inhérents à toute étude de Mai 68. La dénomination elle-même est trompeuse, évidemment francocentrée, d'autant plus que cette « époque » débute, selon de nombreux spécialistes, plusieurs années avant, sans doute aux États-Unis. Dès le départ donc et avant même qu'on puisse initier ou non le débat sur la globalité de ces événements, tout travail de synthèse fait face à la...

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