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  • Introduction: De la case à la gouttière.1La bande dessinée d'expression française et ses marges
  • Carla Calargé (bio) and Alexandra Gueydan-Turek (bio)

Revendiquant, il y a trente ans, le choix des marges comme espace d'ouverture radicale, bell hooks affirmait, dans une étude qui n'a rien perdu de sa justesse intellectuelle, que, si les marges sont souvent synonymes d'oppression, elles peuvent tout aussi bien représenter des sites de résistance (21). Il est vrai que les propos de bell hooks se rapportent à l'expérience des minorités opprimées dans un contexte capitaliste, patriarcal, phallocentrique et suprématiste blanc, alors que ce dossier s'intéresse aux marges dans la bande dessinée d'expression française. Il demeure que si, comme le soutient bell hooks, le langage est un lieu de combat (16) et que l'élaboration de pratiques contre-hégémoniques suppose l'identification d'espaces où commence le processus de révision (15), le fait de se pencher sur un genre longtemps considéré comme marginal dans le cadre des études littéraires, mais aussi le fait d'examiner une production culturelle longtemps ignorée au sein des études universitaires anglo-saxonnes, peut participer d'une ouverture de ces études à des perspectives jusque-là négligées. D'autant plus que, par sa nature séquentielle qui allie le visible à l'invisible, le dit au tu, le continu au fragmentaire, la BD se prête de façon privilégiée aux questions relatives aux marges.

Or, si la BD française et francophone s'offre désormais comme un site privilégié qui donne à lire, interroge et remet en question les marges, cela est en partie dû à sa visibilité plutôt récente et à son statut qui, il y a peu, se trouvait cantonné à celui de genre mineur. Certes, comme le démontre Laurence Grove dans "Bande dessinée Studies" en 2014, la légitimité du champ bédéique n'est plus à discuter en France, où la BD se voit assise très tôt par sa reconnaissance institutionnelle et gouvernementale (84): à l'ouverture, en 1990, du Centre national de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême (aujourd'hui rebaptisé Centre international de la bande dessinée et de l'image), s'ajoutent les différentes expositions de bandes dessinées, non [End Page 6] seulement à la Bibliothèque nationale de France, mais aussi au Centre de l'histoire nationale de l'immigration, aux Invalides, au Centre Pompidou et au Grand Palais.2

Dans le monde anglo-saxon, en revanche, il faut attendre l'essor des Cultural Studies [études culturelles], au milieu des années 1990, avant que la bande dessinée française et francophone ne sorte des marges, et ce, par le truchement des études universitaires. Or, comme l'affirmait Libbie McQuillan en 2005, l'Angleterre et l'Irlande ont accusé un retard de presque quarante ans avant que leurs universités ne commencent à offrir des cours sur la bande dessinée d'expression française. Cette déclaration de McQuillan apparaît dans The Francophone Bande Dessinée, premier ouvrage de critique littéraire sur la bande dessinée qui soit rédigé en anglais.3 Quatre ans plus tard, c'est au tour de Laurence Grove de publier Comics in French, dans lequel le chercheur explique que, contrairement aux milieux belge ou français dans lesquels les études sur la bande dessinée s'adressent en premier lieu à un public adulateur et adorateur, dans les universités du monde anglophone, l'intérêt pour le genre se restreint à un petit cercle de chercheurs, ce qui aurait le mérite d'offrir des perspectives nouvelles, inédites et plus critiques sur la production du neuvième art (7).4 Aux États-Unis en particulier, auxquels sont affiliés la plupart des contributeurs de ce dossier, c'est à la suite de leurs homologues britanniques, et dans les marges du premier cycle, que les chercheurs américains inciteront l'enseignement de la BD à s'immiscer, que ce soit dans les cours du trimestre d'hiver ou des cours d...

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