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  • Jacques Peletier du Mans, traducteur du Canzoniere de Pétrarque
  • Riccardo Raimondo

« Langues non reduictes encores en art »

Comme le remarque Michèle Clément, dix ans après la publication des Six sonnets de Marot, entre 1548 et 1549, une rupture au sujet de la traduction se produit dans le panorama littéraire français (Clément 91–102). On est loin de la défense du français présentée par Étienne Dolet dans sa Manière de bien traduire (1540) : la langue françoyse n’est plus considérée comme une langue « barbare » (2), ou comme l’une de ces « langues non reduictes encores en art » (14). La première décennie du sonnet français voit son terme et les poètes dits de la Pléiade—comme le fera Du Bellay dans sa Deffense (1549)—non seulement commencent à nuancer l’importance de la traduction comme œuvre de création rhétorique et poétique visant à ennoblir leur langue, mais ils promeuvent aussi une valorisation majeure de la langue françoyse par rapport aux autres langues-sources.

Dès la préface à sa traduction de l’Art poétique d’Horace, publié en 1541 et ensuite en 1545, Jacques Peletier du Mans (1517–82), deuxième traducteur de Pétrarque en langue françoyse, écrivait à propos du grec et du latin : « La principalle raison et plus apparente, à mon Jugement, qui nous ote le mérite du vrai honeur, est le mépris et contemnement de notre langue native, consumans tout notre tems en l’exercice d’icelles » (L’Art poétique d’Horace f. 4r°). À cette époque, il parle plutôt de translation et d’appropriation, et il précise dans la préface : « j’ai translaté ce livre intitulé l’Art Poetique, et j’ai voulu approprier à icelle notre Poesie Francoise entant qu’ai peu sauver l’integrité du sens » (L’Art poétique d’Horace f. 6 r°). Si l’on en croit Clément Jugé, cette préface, véritable manifeste sur la traduction, « exerça dans l’ordre littéraire une influence voisine de celle du Discours de la Méthode dans le domaine philosophique » (27). Malgré l’importance de ce texte, Peletier n’y développe pourtant [End Page 235] pas une véritable « théorie », comme l’avait fait Dolet en 1540. Toutefois, on peut déjà déceler à cette époque, avec Jean Vignes, quelques principes essentiels inspirant sa pratique traductive, que l’on pourrait synthétiser en trois points fondamentaux : le « principe d’exhaustivité » (le texte est traduit en entier) ; le « principe de linéarité » (respecter l’ordre général du texte) ; le « principe de proportionnalité » (entre le nombre de vers du texte-source et ceux du texte-cible) (Peletier, L’Art poétique d’Horace 34–37 ; Vignes, Théorie et pratique 123–35). Les germes théoriques contenus dans ce texte ne seront pas sans conséquences.

Depuis la « méthode » développée dans L’Art poétique d’Horace, les traductions publiées dans les Œuvres poétiques de 1547 représentent donc le seul laboratoire grâce auquel Peletier jettera les bases et se donnera les outils pour formuler enfin les théories traductologiques développées plus tard dans son Art poétique de 1555. C’est à travers cette « méthode » visant l’appropriation et l’adaptation que, selon Jean Vignes, chez Peletier « la translation deviendra alors Art poétique » (Théorie et pratique 129).

Parmi les traductions incluses dans les Œuvres poétiques, Peletier publie ses versions de douze sonnets tirés du Canzoniere de Pétrarque.1 Notre découverte du texte-source utilisé par Peletier (Il Petrarca, édité en 1545 par Jean de Tournes, qui imprimera L’art poétique de Peletier) permet de supposer la traduction postérieure à 1545. Avant cette date, à l’exception de sa « méthode » développée dans l’Art poétique d’Horace, Peletier n’avait donc pas beaucoup théorisé la traduction, il l’avait plutôt pratiquée.

La traduction des Douze sonnets de Pétrarque est publiée pour la première fois avec bien d’autres...

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