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  • Le chantier épique d’Hugues Salel : La construction de la première version métrique de l’Iliade en français1
  • John Nassichuk

Lorsque Pierre de Tours fait paraître les deux premiers chants de l’Iliade d’Homère dans la version française du poète quercinois Hugues Salel, il affirme la place centrale de ses officines à l’épicentre d’un mouvement d’illustration de la langue vernaculaire qui se manifeste à Lyon depuis l’établissement, en mars 1538, des presses d’Etienne Dolet (Worth 49). L’année où il publie ces deux livres d’Homère non autorisés du traducteur, Pierre de Tours imprime aussi une édition du Discours du voyage de Constantinople de Bertrand de la Borderie, munie d’une préface qui revendique avec énergie la haute dignité de la langue française. Élise Rajchenbach-Teller a en effet constaté, dans son examen de l’activité de cette presse, « qu’un certain nombre de traductions publiées à Lyon chez François Juste et Pierre de Tours entre 1537 et 1542 font preuve d’innovations lexicales » (99), ce qui laisse supposer l’existence d’un véritable programme culturel orienté spécifiquement sur la promotion et l’enrichissement de la langue. Il sera maintenant utile d’ajouter que dans le cas précis de la version française de l’Iliade, le travail encore préliminaire d’Hugues Salel constitue la première réalisation en langue vernaculaire d’un chantier textuel homérique en voie d’élaboration depuis au moins une douzaine d’années dans les milieux éditoriaux humanistes.

Après une description de la carrière poétique de Salel, qui rappellera la place centrale du projet de traduction de l’Iliade au sein de son œuvre confectionnée principalement dans les milieux lettrés proches de la Cour royale, la présente étude soulignera l’importance cruciale de cette production éditoriale humaniste contemporaine aux activités de Salel, pour l’œuvre de traducteur qui occupera ce dernier jusqu’à son décès en 1553. Elle soulignera notamment l’activité des presses parisiennes de Chrétien Wechel, qui produisent pendant les années 1530 une série d’éditions partielles de l’Iliade basées sur le texte grec publié par Alde Manuce. Cette série de volumes publiés en succession par Wechel est interrompue de manière [End Page 217] définitive par la publication en 1538, chez ce même éditeur et chez l’éditeur lyonnais Vincent de Portonariis, de la célèbre traduction latine d’Homère par l’humaniste Andreas Divus, parue en France une année seulement après sa première édition en Italie. L’œuvre de Divus connaîtra par la suite, pendant plusieurs décennies, un succès remarquable à travers l’Europe, et sa parution signale le déclin éditorial de la version paraphrastique en prose latine de Lorenzo Valla, dont l’impression ultime paraît chez Sébastien Gryphe en 1541. Tel est le contexte dynamique dans lequel Salel vient s’insérer dès la première moitié des années 1540. Dans son travail de traducteur, il se révèle le bénéficiaire de ces intermédiaires latins concurrents qui nourrissent diversement son interprétation française de la langue d’Homère.

I. Hugues Salel : L’assemblage de lœuvre personnel en milieu de Cour

La première impression partielle de la traduction de l’Iliade par Salel voit le jour en 1542 aux presses lyonnaises de Pierre de Tours, dans une édition qui paraît sans l’autorisation de l’auteur. Ce petit in-octavo de 70 pages, qui contient la version française des deux premiers chants du poème d’Homère, paraît en effet sans privilège dans l’exemplaire, aujourd’hui devenu rarissime, de la Bibliothèque de l’Arsenal (Salel, Premier et second livre). Le volume ne comporte donc aucune notice introductive signée du traducteur, aucune illustration, aucune glose marginale destinée à soutenir la compréhension ou à orienter la lecture. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une publication rapide, l’imprimeur visant...

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