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  • Le noeud gordien. Police et justice : des Lumières à l'État libéral (1750-1850) dir. par Marco Cicchini et Vincent Denis
  • Gaïd Andro
Marco CICCHINI et Vincent DENIS (dir.), Le noeud gordien. Police et justice : des Lumières à l'État libéral (1750-1850), Chêne-Bourg, Georg Éditeur, 2018, 368 p.

Publié dans un contexte où l'état d'urgence et la radicalisation des mouvements sociaux réactivent cycliquement le débat sur l'articulation entre sécurité publique et libertés individuelles, cet ouvrage propose, de manière opportune, une démarche d'historicisation à la fois diachronique et comparative des rapports entre police et justice de 1750 à 1850. Dirigé par Marco Cicchini et Vincent Denis, tous deux spécialistes de l'histoire de la police, et profitant de la collaboration de Michel Porret et Vincent Milliot, ce travail s'inscrit dans la continuité de ce que ce dernier appelait en 2007 un « moment historiographique » de l'histoire des polices. À une approche pragmatique de la police comme technologie de pouvoir, approche en partie issue des propositions épistémologiques de Foucault développées par Paolo Napoli, cet ouvrage ajoute une dimension interactionnelle en centrant son analyse sur les liens entre la police et la justice lors de cette période transitionnelle qui voit l'État-nation libéral succéder à l'État moderne. Alors que l'historiographie associe assez mécaniquement cette transition à une phase de spécialisation bureaucratique corollaire de la séparation théorique et constitutionnalisée des pouvoirs, les différentes contributions tentent d'observer de manière plus fine la reconfiguration du lien entre pouvoir judiciaire et pouvoir exécutif « par la pratique autant que par la norme » (p. 14). L'approche centrée sur les pratiques effectives des acteurs donne une réelle cohérence à l'ensemble de cette publication directement issue d'un colloque tenu sur le même thème à Genève en 2014 28.

Le titre de l'ouvrage reprend celui du colloque et pose d'emblée les termes du problème en qualifiant les rapports entre justice et police de « noeud gordien », rendant ainsi quasi impossible le projet collectif, à savoir identifier le moment et les mécanismes d'une autonomisation de la police et donc les conditions d'une [End Page 115] dissociation des deux pouvoirs. Cette aporie constitue tout l'intérêt de l'ouvrage, mais en traduit également les limites. Signe de cette difficulté, le plan de l'ensemble se conforme à une scansion thématique faisant se succéder « normes, concepts et principes », « acteurs et institutions » et « pratiques », sans rendre totalement visibles la richesse et la complexité des problématiques soulevées dans les contributions. Car l'apport de ce travail réside bien dans la pluralité des angles proposés, dans la variété des échelles et des espaces géographiques étudiés et dans un effort collectif pour interroger au plus près la réalité de ce « noeud gordien » et l'interdépendance des pratiques de prévention, de surveillance, d'arrestation, de jugement, d'enquête et de punition.

L'introduction replace le projet dans un double mouvement structurel associant la mutation progressive de la justice et l'émergence tardive du concept de police à partir du pouvoir urbain du XVIIe siècle. Alors que la procédure inquisitoire transforme progressivement la justice d'un attribut de souveraineté en une recherche de vérité, l'affirmation des sciences de gouvernement favorise la dimension juridictionnelle et territorialisée de la police au XVIIIe siècle. Cette mutation simultanée aboutit à un nouvel horizon politique qui associe une réflexion humaniste sur la nature des peines à une exigence de surveillance du corps social. Ainsi l'impératif gouvernemental d'ordre public se trouve-t-il associé à l'exactitude de la punition et à l'effectivité du contrôle social. Pourtant, cette modélisation ne clarifie pas les liens entre police et justice, elle pose au contraire l'équation du « noeud gordien », notamment par l'affirmation de la police de « sûreté », ou police « judiciaire », que Marco Cicchini considère comme caractéristique de la « modernité pénale » (p. 31).

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