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  • L'autogestion en chantier. Les gauches françaises et le « modèle » yougoslave (1948-1981)par Frank Georgi
  • Gilles Vergnon
Frank GEORGI, L'autogestion en chantier. Les gauches françaises et le « modèle » yougoslave (1948-1981), Nancy, Arbre bleu Éditions, « Gauches d'ici et d'ailleurs », 2018, 522 p.

La Yougoslavie, du « schisme » de 1948 à la mort de Tito en 1980, fut, bien davantage encore que la Suède, pour toutes les gauches françaises, des trotskistes à la « Deuxième gauche » en passant par la SFIO, une source d'intérêt, parfois même une référence, voire un « modèle » ou même un contre-modèle. Elle fut dans tous les cas le pays européen (en dehors de l'URSS) qui mobilisa le plus, dans la période [End Page 107]concernée, la littérature politique, de la « littérature grise » des rapports internes ou des résolutions de congrès aux analyses à prétention « scientifique ». L'« autogestion » yougoslave, officialisée par la « loi fondamentale » du 28 juin 1950 (reproduite en annexe de l'ouvrage), était au coeur de cet intérêt, ce pays prenant progressivement et durablement une place centrale, devant des concurrents éphémères–l'Algérie des années Ben Bella, l'Israël des kibboutz, voire le Pérou de Velasco Alvarado ou le Portugal de la « révolution des OEillets »–dans la géographie imaginaire de cette « dernière utopie 20»

C'est tout le mérite de Frank Georgi, spécialiste reconnu de l'autogestion comme de l'histoire de la CFDT, que d'ouvrir le dossier du rapport noué entre ces deux histoires : d'un côté celle de la politique des dirigeants yougoslaves (plus que de la Yougoslavie) et, de l'autre, celle des gauches « non communistes » françaises (le PCF passant de l'hostilité totale envers la « clique Tito » à des relations difficiles dans les années 1950-1970, avant un intérêt tardif et intermittent pour les réalisations de ce « pays frère » pas comme les autres) à la recherche d'un pays de référence pour leurs propres projets. L'auteur chemine constamment sur la difficile ligne de crête entre l'histoire d'un transfert, avec ses modalités propres et ses vecteurs (association France-Yougoslavie, école d'été de Korcula, etc.), et celle des racines autochtones de la quête autogestionnaire d'une part croissante des gauches françaises.

L'ouvrage suit un plan chronologique qui nous conduit de la constitution d'un « mythe yougoslave » après 1948, à l'épuisement de cette référence avant même le décès de Tito. Le premier chapitre montre bien comment se cristallise rapidement un « titisme français ». Celui-ci est porté par les trotskistes du PCI, qui organisent à l'été 1949 des « brigades de travail » en défense de la « révolution yougoslave », mais aussi par des francs-tireurs de la gauche intellectuelle, issus de la Résistance et à la recherche d'une « troisième voie » : Claude Bourdet, Jean Cassou, Jean-Marie Domenach, Agnès Humbert. L'« autogestion », d'ailleurs pas encore officialisée, n'est pas au centre de leur intérêt pour la Yougoslavie. Celle-ci est plutôt considérée comme le lieu où s'incarnent les espoirs déçus de la Résistance (l'« ancien partisan français » Domenach dit « se sentir chez lui » dans ce « Vercors prolongé », p. 108) ou comme « la deuxième URSS » qui réalise enfin la promesse d'Octobre, pour Claude Bourdet 21. La scène « titiste » française se modifie considérablement au début des années 1950 avec l'entrée en lice de la SFIO. Celle-ci, après le Labour Partybritannique, qui envoie dès 1950 une délégation à Belgrade, est à la recherche de partenaires pour bâtir cette « troisième force internationale » au coeur des projets internationaux du socialisme français, tandis que les dirigeants yougoslaves voient tout l'intérêt de nouer des relations avec des relais occidentaux d'un tout autre poids que les petits cercles des gauches dissidentes. Le voyage yougoslave au...

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