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  • Les “Gardiens de la mémoire”: la Shoah dans la poésie francophone contemporaine1
  • Gary D. Mole

On ne saurait nier que le roman francophone contemporain jouit depuis une vingtaine d’années d’un engouement pour la Seconde Guerre mondiale sous tous ses aspects, depuis la vie quotidienne sous Vichy avec les thèmes inlassables de collaboration et de résistance—et toute la zone grise de l’entre-deux—jusqu’à la thématique de la déportation et de la Shoah. Les Bienveillantes (2006) de Jonathan Littell, Jan Karski (2009) de Yannick Haenel, et HHhH (2009) de Laurent Binet ne sont que les trois romans les plus médiatisés ces dernières années parmi les centaines susceptibles de provoquer la polémique sur la représentation littéraire de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah et sur les rapports difficiles entre fiction, vérité, histoire et mémoire.2

Mais qu’en est-il de la poésie de langue française? Certes, la critique a fini à partir des années 1980 par ériger en canon de “poètes de la Shoah” certains écrivains tels Benjamin Fondane, Charlotte Delbo et Edmond Jabès, mais force est de constater que tout un corpus de poèmes en français sur la Shoah reste largement occulté par la critique universitaire. En effet, comme nous l’avons démontré dans une étude précédente (Mole 2008),3 il existe bel et bien, outre de très nombreux poèmes éparpillés dans diverses revues et anthologies, un corpus de recueils poétiques publiés dans l’immédiat après-guerre et jusqu’à l’époque contemporaine, aussi discret soit-il et soumis comme toute littérature aux tendances historiographiques.4 De la production du XXIe siècle, il nous a semblé intéressant dans le cadre de ce numéro spécial de French Forum de retenir quatre recueils susceptibles d’illustrer à la fois une certaine continuité stylistique et thématique avec le corpus en général et des signes de rupture. Pour ce faire, notre attention s’est portée sur deux recueils de poètes juifs dont une rescapée et un enfant de la deuxième génération, et deux recueils de poètes non-juifs nés après [End Page 103] la guerre et dénués de tout rapport personnel ou familial avec les événements de la Shoah. Il sera question donc de: Mémoires de la Shoah (2001) de Tristan Janco, Le Vent des ténèbres (2008) de Karola Fliegner-Giroud, Terre de douleur (2011) de Robert Tirvaudey, et Plus haut que les flammes (2010/2015) de Louise Dupré, recueils que nous aborderons chronologiquement selon la date de publication (la deuxième édition pour Dupré) et non pas selon la date de naissance respective des auteurs. Ajoutons d’emblée que la qualité poétique de ces recueils peut être très disparate et que le statut littéraire même des auteurs issus d’horizons, de générations et d’origines différents est tout aussi divers—professeurs à l’Université ou au lycée, ou sans métier précis, poètes “amateurs” ou poètes couronnés de prix littéraires . . . Cela nous semble caractériser toute la production poétique de la Shoah en français depuis la guerre et ne met aucunement en question la validité de l’écriture des poètes. Nous précisons enfin que nous ne cherchons pour justifier cette étude ni à revenir une fois de plus sur l’importance ou l’impossibilité de la poésie après Auschwitz—Susan Gubar l’a fait de manière magistrale pour un corpus anglophone (7–13)—ni à catégoriser les poèmes de ces volumes de manière typologique selon qu’ils soient de nature documentaire, impressionniste ou prophétique, pour ne citer que les différences essentielles qu’identifie Joseph Brodsky entre la poésie et d’autres formes littéraires (58). Nous ne prétendons pas non plus que les auteurs de ces ouvrages aient forgé une nouvelle éthique de représentation ou qu’ils...

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