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  • “Un train peut en cacher un autre.” Entretien avec Arnaud Rykner à propos du Wagon (2010)
  • Helena Duffy
HD:

Notre rencontre est née d’une polémique. En réponse à mon appel à contributions pour le numéro spécial consacré à la littérature française et francophone de la Shoah des deux dernières décennies, un de nos collègues a exigé que je retire Le Wagon de la liste d’ouvrages mentionnés par l’appel. Il prétendait que votre récit, paru en 2010, ne concernait pas la Shoah, car le convoi no 7907, qui est parti le 2 juillet 1944 et qui fait l’objet de votre récit, transportait essentiellement—mais non pas uniquement—des résistants. Pourtant, le personnage principal du Wagon est juif; il s’appelle Weismann et commence son témoignage en signalant le “départ” de ses parents onze mois auparavant. Vu que les plus grandes arrestations des Juifs avaient eu lieu justement deux ans avant le départ du train no 7907, on devine facilement que les parents du personnage ont été victimes de la Rafle du Vel’ d’Hiv. De plus, évidemment conscient du sort que les Allemands ont réservé aux Juifs, Weismann craint qu’on ne le reconnaisse et se cache sous une fausse identité de citoyen suisse. Pour moi, il est donc clair que votre roman prend comme thème la déportation au sens le plus large. Cependant, avant d’en parler en détail, pourriez-vous esquisser la genèse de votre récit et l’histoire qu’il retrace?

AR:

Le Wagon raconte l’histoire d’un train particulier. Il s’agit du dernier convoi parti de Compiègne pour Dachau et du train le plus meurtrier. Selon certaines sources, il y eut 560, ou voire jusqu’à 1000 morts, à l’arrivée à Dachau sur 2000 personnes au départ, à savoir entre le tiers et la moitié des déportés. Un jour, j’ai découvert que dans ce train se trouvait quel-qu’un que j’avais connu et aimé, le petit frère de mon grand-père. Et pour-tant, je n’avais jamais rien su de cette histoire. Même mon père qui a vécu cette période (il avait huit ans, à la Libération) n’en avait jamais parlé, ou plus précisément on ne mentionnait que très vaguement le fait que cet [End Page 45] homme avait été déporté. Mais ce n’est pas tout. Au même moment où je prenais vraiment connaissance de l’histoire de mon grand-oncle, j’apprenais que deux cousines germaines de mon père, donc nièces du grand-oncle du Wagon, avaient été déportées à Auschwitz dans le convoi du 3 février 1944. Sur ces deux faits, une sorte de grand silence avait donc régné, que, comme d’autres membres de famille, je portais confusément en moi. C’est pourquoi, dès que j’ai appris cette histoire, j’ai eu besoin de la faire revenir à la surface, même si je ne l’avais pas vécue moi-même. Je crois que si l’on ne le fait pas, le traumatisme reste en nous et on risque de le passer à ses enfants, et surtout de le faire perdurer plus globalement autour de soi, indépendamment des enjeux éthiques qui font qu’il reste éminemment nécessaire de parler de ce qui s’est passé alors, pour les générations suivantes

HD:

Dans la préface au Wagon, vous interrogez justement votre droit de raconter une histoire que vous n’avez pas vécue, mais qui, comme vous le dites, vous appartient tout de même. Qu’entendez-vous par cela?

AR:

Avant de savoir que ma famille avait été touchée par l’histoire de la déportation et la Shoah, je me sentais concerné comme n’importe qui doit l’être. Pour les Français de ma génération, la connaissance que nous avons eue de la réalité du génocide remonte à la fin des années 1970. C’est une...

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