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Reviewed by:
  • The Myth of Silent Spring. Rethinking the Origins of American Environmentalism by Chad MONTRIE
  • Thomas Le Roux
Chad MONTRIE, The Myth of Silent Spring. Rethinking the Origins of American Environmentalism, Oakland, University of California Press, 2018, 186 p.

Ce court ouvrage au titre provocateur entreprend de questionner l’influence du célèbre livre de Rachel Carson, Silent Spring, dans la naissance de l’écologie politique ou des mouvements environnementalistes. Publié aux États-Unis en 1962 et vite traduit dans le monde entier, l’essai de Rachel Carson est sans doute le manifeste le plus connu et le plus diffusé contre l’usage des pesticides dans l’agriculture. Biologiste de formation, Rachel Carson se consacre tout d’abord à l’étude des mondes marins, mais c’est son enquête sur le déclin des oiseaux qui l’amène à dénoncer avec vigueur l’agriculture chimique en plein développement dans le monde occidental de l’aprèsguerre. Sa mort prématurée en 1964 n’empêche pas la dénonciation d’enfler, jusqu’à l’interdiction du pesticide le plus employé, le fameux DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), aux États-Unis en 1972. Dès lors, Rachel Carson est considérée comme une des figures fondatrices de l’environnementalisme américain.

Chad Montrie ne nie pas l’importance de l’œuvre de Rachel Carson, mais il opère deux déplacements majeurs. Le premier est historique : en s’appuyant sur de nombreux exemples de contestations environnementales depuis 1800, il montre que les critiques de la dégradation de l’environnement et les résistances actives contre l’industrialisation du monde ont été très nombreuses. Le deuxième est social : alors que Rachel Carson s’adresse essentiellement à une classe moyenne ou supérieure soucieuse de manger des produits sains, de nombreux autres mouvements environ-nementalistes sont davantage portés vers les classes populaires, les ouvriers et les minorités ethniques, qui voient la dégradation de leurs conditions de vie encore plus affectées par l’industrialisation. Les deux dimensions se mêlent pour insister sur la conjonction d’une démarche à la fois sociale et écologique dans de très nombreuses mobilisations environnementales, qui ne se réduisent donc pas à une parole des privilégiés blancs en recherche de nature récréative. La thèse, déployée en trois chapitres, est stimulante et permet de ne pas tomber dans le piège d’une écologie politique unique qui s’accommoderait volontiers d’un système économique où la domination des classes et de la nature reste finalement au cœur de son fonctionnement.

Le premier chapitre s’intéresse aux résistances locales à l’industrialisation au XIXe siècle, principalement en Nouvelle-Angleterre, dans le Massachusetts ou le New Hampshire, soit les lieux majeurs de la première industrialisation américaine. La filiation de ces résistances remonte au moins au début du XVIIIe siècle, lorsque les rivières deviennent la source d’énergie d’ateliers divers qui se dotent de retenues d’eau pour faire fonctionner leurs roues hydrauliques. Selon la common law, les riverains des rivières pouvaient casser les barrages pour remettre en état le cours d’eau, afin que les poissons, source alimentaire importante, puissent frayer et se déplacer librement. De nombreux exemples de procès témoignent que les communautés rurales agissant ainsi pensent qu’elles ont la loi avec eux, ce que confirment bon nombre de jugements. Toutefois, au fil des décennies, cette « écologie morale », proche de l’économie morale chère à E. P. Thompson, est démantelée par la jurisprudence qui finit par interpréter la catégorie juridique de reasonable use de la common law en faveur des industriels. Vers 1850, il devient de plus en plus admis par les autorités judiciaires que le monde de la rivière doit accepter les activités industrielles, moyennant des compensations accordées aux riverains affectés par les changements. Parallèlement, un mouvement conservationniste s’empare de la notion de nature pour dénier aux natifs l’usage de leur environnement, pourtant à faible impact, et privilégier une...

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