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Reviewed by:
  • Les entreprises de la chimie en France de 1860 à 1932 by Jun SAKUDO
  • Hervé Joly
Jun SAKUDO, Les entreprises de la chimie en France de 1860 à 1932, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2011, 290 p.

Cet ouvrage présente un caractère particulier dans la mesure où il s’agit d’une traduction exceptionnelle – hélas suscitée par la disparition prématurée de son auteur – d’une édition originale parue en 1995, au sein d’une historiographie économique japonaise sur la France dont les références citées en introduction révèlent toute la richesse méconnue. Cette traduction s’avère d’autant plus opportune qu’elle vient combler une lacune étonnante sur l’histoire de l’industrie chimique française, les grandes monographies de Jean-Pierre Daviet sur Saint-Gobain (préfacier de cet ouvrage) ou de Pierre Cayez sur Rhône-Poulenc n’ayant pas été prolongées par des synthèses sur la branche. L’actualisation bibliographique opportunément effectuée à la fin par Patrick Fridenson, cheville ouvrière de cette publication d’une grande qualité rédactionnelle, montre bien par défaut que, sauf le livre de Sophie Chauveau sur l’État et la pharmacie, l’histoire de l’industrie chimique n’a pas, jusqu’à [End Page 124] l’achèvement de la thèse d’Erik Langlinay en 2017, été profondément renouvelée sur le terrain français depuis vingt ans au moins. Les analyses de Sakudo restent donc profondément actuelles.

L’ouvrage est centré sur une période cruciale pour l’industrie chimique, des débuts de la mise en œuvre de la chimie de synthèse (1860) à la crise des années 1930, l’auteur annonçant l’ambition fauchée d’un deuxième volume sur la période ultérieure. Cette synthèse est intelligente, dans la mesure où elle ne cherche pas à tout aborder, mais se concentre sur des questions transversales – les raisons de la faiblesse française face à l’Allemagne, les relations entre l’État et l’industrie privée – appliquées à des terrains particuliers, qu’il s’agisse de politiques (la formation, les brevets, le régime douanier) dans la première partie, d’entreprises (Matières colorantes de Saint-Denis, Société chimique des usines du Rhône-SCUR, Établissements Poulenc Frères) dans la deuxième, ou de productions (azote, colorants) dans la troisième. L’ensemble s’appuie à la fois sur des sources imprimées (Rapport général sur l’industrie française de 1919, rapport du Conseil national économique de 1932, etc.) et sur de multiples fonds d’archives aussi bien publics (ministère du Commerce) que privés (Saint-Gobain, Rhône-Poulenc, L’Air liquide, Banque Paribas, etc.).

La première partie cherche à comprendre comment un pays précurseur dans l’innovation chimique, en particulier pour la synthèse des colorants, a pu dès la fin des années 1860 se faire autant dépasser par l’Allemagne, même si l’auteur souligne bien que l’industrie française conserve des points forts, avec l’industrie minérale – sous réserve d’avoir dû se rallier au procédé belge de Solvay pour la soude – et surtout l’électrochimie, profitant de l’avantage d’une hydroélectricité abondante. Il ne donne pas d’explication unique, mais souligne le retard en matière de formation – que la création à partir de 1880, sur la base d’initiatives plutôt locales ou privées, d’écoles supérieures de chimie ne vient que partiellement combler –, l’absurdité de la loi de 1844 sur les brevets qui, en protégeant les produits plutôt que le procédé, dissuade l’innovation, et l’inadéquation d’un régime douanier qui n’empêche pas les contour-nements par les produits intermédiaires. L’État apparaît jusqu’à la veille de la Grande Guerre étonnamment indifférent à cette faiblesse nationale.

Dans la deuxième partie, l’auteur s’intéresse à trois entreprises de la chimie organique de synthèse, que l’on classe donc a priori plutôt parmi les perdantes dans la comp...

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