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  • Épilogue
  • Mélissa Gauthier (bio)

Le concept de « secteur informel » ou d'« économie informelle » a donné lieu à un nombre considérable de travaux dans le champ du développement et des études urbaines depuis son émergence (Ledeneva 2018). Le modèle dualiste de l'économie comprenant deux secteurs opposés l'un à l'autre qui s'est imposé à partir des années 1970 exerce encore aujourd'hui une influence considérable dans le domaine du développement. L'objectif premier de ce commentaire est d'explorer plus en détail la genèse de la dichotomie entre le formel et l'informel que les auteurs se sont affairés à remettre en question dans les pages précédentes. Le bref survol qui suit devrait suffire à mettre en évidence le fossé qui s'est creusé progressivement entre l'idée « d'économie informelle » formulée à partir de l'expérience vécue sur le terrain par un jeune anthropologue (Hart 2002) et son institutionnalisation progressive dans le vocable politique des organisations internationales de développement.

La pertinence du dualisme formel-informel a été remise en cause à maintes reprises par le passé. Plusieurs observateurs ont critiqué avec raison la tendance de ceux qui y adhèrent à encourager une vision cloisonnée du secteur informel et à minimiser ses liens avec le secteur formel. L'autre objectif poursuivi dans ce commentaire est de souligner l'apport de l'approche performative adoptée dans ce numéro sur l'informalité urbaine. Les auteurs mentionnés dans ce commentaire ne se contentent pas seulement de mettre en évidence la porosité des frontières entre formel et informel. L'approche performative à laquelle ils font appel leur permet de mettre l'accent sur les dispositifs ou agencements socio-techniques (Muniesa et Callon 2008) qui sous-tendent la production et la gestion de ces réalités dites « informelles ». Leurs recherches permettent ainsi de mieux comprendre comment l'informalité et la formalité, « en tant que pratiques », contribuent à la planification urbaine (McFarlane 2016). Comme le résume si bien Colin McFarlane (2016 : 44), « la distinction "formel-informel" est un instrument conceptuel à multiples facettes servant à nommer, gérer, gouverner, produire et même analyser de manière critique les villes contemporaines ».

La paternité de l'épithète « informel » appliqué à l'économie est communément attribuée à l'anthropologue britannique Keith Hart. Au cours de son séjour sur le terrain dans les bidonvilles d'Accra au milieu des années soixante, Hart se retrouve face à un éventail d'activités productives qui échappent à l'oeil des « experts » et de l'administration mais pas à son regard d'anthropologue. Comme le souligne Thomas Cortado (2014 : 201) « seul un regard ethnographique, engagé dans la vie quotidienne des gens, était d'ailleurs capable d'en révéler l'importance ». De son propre aveu, Hart développe à l'époque un penchant pour les activités commerciales illégales des habitants allant même jusqu'à y participer et entrer en compétition avec eux comme entrepreneur à son propre compte (Hart 1994 : 202).

Hart fait référence pour la toute première fois à l'idée d'un « secteur » ou « d'une économie informelle » en 1971 dans le cadre de sa participation à une conférence sur le thème du « chômage urbain en Afrique » (Hart 1973). L'anthropologue cherche à remettre en question l'idée alors largement répandue parmi les économistes du développement selon laquelle le « sous-prolétariat » du Tiers-monde serait composé de personnes au chômage ou sous-employées. Hart présente un portrait radicalement différent de la réalité sur le terrain au Ghana mettant en scène un « sous-prolétariat » qui, loin d'être sans emploi, consacre une grande partie de son temps et de son énergie à des activités productives non déclarées. Le concept de « secteur informel » trouve un écho favorable auprès de l'auditoire et va connaître une popularité grandissante suite à son adoption dans un rapport sur l'emploi au Kenya publié un an plus tard par l'Organisation Internationale du Travail (OIT). C'est dans ce contexte que la réputation de Hart en tant qu'auteur d...

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