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  • Introduction
  • Amaury Dehoux and Erica Durante

Il est possible de lire la globalisation dans ses rapports à la fiction selon deux voies, qui sont tout sauf exclusives. La première lecture consiste à envisager l’impact de la globalisation sur les disciplines qui prennent la fiction pour objet d’investigation— il faut dire, entre autres, les études littéraires, les études cinématographiques. De cette orientation réflexive découle la définition d’un ensemble de paradigmes aptes à modéliser la fiction et ses propriétés en contexte global.1 En d’autres termes, la globalisation devient ici le lieu d’un renouvellement épistémologique pour la théorie de la fiction at large.

La seconde lecture, sur laquelle la première prend certainement appui, s’intéresse, pour sa part, à la globalisation comme objet même de fiction—une telle approche pourrait être identifiée à une sorte de degré zéro de la critique, qui colle davantage au tissu du texte ou du film, et qui serait une espèce de condition préalable à la modélisation et à la théorisation de la fiction globale. Dans ce cas de figure, il paraît recevable de dire que la globalisation acquiert une valeur thématique. Elle s’institue véritablement comme un contenu central dans une série d’œuvres littéraires ou cinématographiques contemporaines et, se dotant d’une dimension poétique, elle structure la totalité de celles-ci. [End Page 7]

A cette valeur thématique, il convient d’ajouter un dessin anthropologique. En effet, comme l’a montré Jean Bessière (2010) pour le roman—mais des constats identiques valent, mutatis mutandis, pour le cinéma—il est pertinent de lier les figurations que la fiction donne de l’individu à la question de son habitat. Autrement dit, l’accomplissement de la personne—dont le roman et le film se font l’histoire—se donne comme indissociable de sa faculté à trouver la place qui lui revient dans le monde. Tant qu’il n’est pas achevé, et donc qu’il est problématique, l’individu fictionnel se présente comme celui qui, précisément, cherche à établir sa niche, sa sphère d’existence, dans le monde auquel il est confronté.2

Caractérisée en ces termes, une telle problématicité se retrouve évidemment dans la fiction de la globalisation, qui tend à la survaloriser et à la maximiser.3 Il faut ainsi noter que, stricto sensu, la globalisation s’entend comme le processus visant à la constitution du monde en tant que sphère unique. En intégrant ce processus à son univers diégétique, la fiction interdit dès lors à ses personnages de se dérober à l’intrusion du globe terrestre dans leur existence. Ceux-ci sont obligés d’habiter un monde qui, parce qu’il est unique, n’autorise aucune niche en dehors de lui-même. En d’autres mots, dans la fiction de la globalisation, les individus deviennent littéralement des habitants du monde. Il en découle une relation d’homologie explicite dans les définitions du sujet humain et du globe terrestre : l’un et l’autre se construisent simultanément dans leur unicité—la figuration anthropologique portée par une série de romans ou de films contemporains ne peut se penser en dehors de la globalisation.

Telle qu’elle se particularise dans la littérature et le cinéma, la globalisation s’instaure ultimement comme une question ontologique. A travers elle, la fiction interroge les modalités de l’être-au-monde actuel. Ces modalités peuvent être divisées en deux grandes catégories qui recoupent la conceptualisation qu’Edouard Glissant (2005) a proposée de la globalisation. L’auteur martiniquais distingue en effet, dans ce phénomène, deux aspects contradictoires, qu’il nomme respectivement la mondialisation et la mondialité. La mondialisation correspond, pour lui, à un processus négatif, qui prétend uniformiser le monde, le soumettre à un Empire unique, animé essentiellement par des puissances économiques et financières. A l’inverse, la mondialité s’institue, dans la pensée glissantienne, comme le versant positif—voire idéal—de la globalisation. De cette manière, un tel...

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