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  • Poésie et philosophie: ineffable rigueur par Anne Mounic
  • Hugues Azérad
Poésie et philosophie: ineffable rigueur. Par Anne Mounic. (Chiasma, 42.) Leiden: Brill Rodopi, 2017. 245 pp.

Cette étude se propose d'explorer en profondeur un sillon occulté de la tradition littéraire française et européenne au travers de penseurs-poètes qui ont fondé un courant de la modernité qui mérite une attention pleine et renouvelée eu égard à leur questionnement radical de la dimension éthique de la création, de la responsabilité de l'écrivain, et de la puissance sans pouvoir du concept de la dissidence (poétique, philosophique et politique). Maria Zambrano, Léon Chestov, Benjamin Fondane, Jules Lequier, Soren Kierkegaard, Jean Wahl, Emmanuel Levinas, Henri Meschonnic, Albert Camus, Robert Misrahi, [End Page 321] Michel Henry sont conviés à un dialogue foisonnant avec les poètes, que ce soient Charles Baudelaire, John Keats, Stéphane Mallarmé, Arthur Rimbaud, René Char, Robert Graves, les war poets, Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Claude Vigée. L'auteure remonte aussi aux sources que sont Platon, Heraclite et Parménide, pour en identifier les apories et analyser les axes fondamentaux du mouvement et du commencement, de la durée et de l'instant. Ce courant de la modernité ainsi nouvellement définie est minoritaire au sens deleuzien, étant peu visible et agissant en retrait des débats plus notoires, mais d'autant plus porteur d'une énergie de révolte et de confiance en la capacité de forger des relations fortes, non dominatrices car garanties par la fragilité de la finitude. Cela est particulièrement salutaire en temps de crise métaphysique et morale, crise de la modernité d'alors comme de celle d'aujourd'hui. Nul retour aux 'vieilles valeurs' du conservatisme traditionaliste, nul écho de la veine des anti-modernes, mais reprise au sens kierkegaardien et adhésion au 'pathos du grand instant' que le philosophe danois analysait dans son Post-scriptum aux 'Miettesphilosophiques' (cité p. 115). Chez ces poètes et penseurs, l'acte créateur est indissociable du sentiment inchoatif de l'existence, qui, comme l'explique Anne Mounic, 'se situe au commencement, dans l'action elle-même' (ibid.). Au fil de ses cinq chapitres parfois un peu touffus mais à l'érudition impeccable, ce livre permet de faire apparaître le patient dialogue outre-langues et outre-frontières entre les philosophies et poésies existentialistes, qui poursuivent une quête sans limite, mais toujours profondément motivée par un souci éthique et un regard juste sur l'histoire. Nous retrouverons les problématiques de la communauté, de l'autre, de l'ouvert, du sujet poétique, mais c'est surtout à travers les pensées de Zambrano, Chestov, Fondane et Kierkegaard que l'auteure parvient à dégager des outils conceptuels aptes à percer de nouvelles voies de recherche, notamment en littérature comparée. 'L'homme entier n'est pas dans la philosophie; la totalité de l'humain n'est pas dans la poésie. Dans la poésie nous trouvons l'homme concret, individuel. Dans la philosophie l'homme dans son histoire universelle, dans son vouloir être' écrivait Zambrano en 1939 (cité p. 1). Réconcilier les deux reste un rêve, dont parlait encore la grande philosophe espagnole, qu'il est urgent de relire, pour redonner toute sa chair au vrai espoir. Au poète donc de savoir recueillir 'tout le savoir de la philosophie, tout ce que la distance et le doute lui ont appris, afin de donner forme avec lucidité et pour tous à son rêve' (Zambrano, citée p. 51).

Hugues Azérad
Magdalene College, Cambridge
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