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  • J'aime ta joie parce qu'elle est folle: écrivains en fête (XVIe et XVIIe siècles) par Michel Jeanneret
  • Marie-Claire Thomine
J'aime ta joie parce qu'elle est folle: écrivains en fête (XVIe et XVIIe siècles). Par Michel Jeanneret. (Titre courant, 62.) Genève: Droz, 2018. 237 pp., ill.

Le dernier opus de Michel Jeanneret est aussi réjouissant que son titre, emprunté à la trilogie de Beaumarchais; la joie dont il est ici question est celle que Suzanne apprécie chez Figaro, exubérante joie de vivre ('Elle annonce que tu es heureux', ajoute la jeune amoureuse), associée à la légèreté et au plaisir. Le mot d'ordre de tous ces 'écrivains qui rient et font rire, qui aiment la vie et répandent la joie' est la liberté (p. 151); auteurs connus et moins connus sont abordés selon un parcours vagabond, qui tisse entre eux des liens inédits: la continuité subtile d'un chapitre à l'autre permet d'éclairer de manière neuve des [End Page 292] textes déjà fort commentés; la célèbre ouverture du chapitre 'De la vanité' (Montaigne, Essais, m, 9) est ainsi observée à l'aune des 'lévitations' de Teofilo Folengo. La promenade sur deux siècles—organisée en deux étapes, reliées par un intermède—met en perspective les évolutions de la culture festive: ainsi du statut du bouffon, figure qui accompagne les rois de la Renaissance avant de s'éclipser au dix-septième siècle; les écrivains marginaux, excentriques, extravagants, qui la remplacent, vont reprendre le flambeau du combat contre les 'agélastes', ces ennemis de la gaieté que vilipendait Rabelais, médecin des âmes et des corps, dans le sillage d'Erasme, et de Folengo, avant Montaigne, plaidant dans plusieurs de ses Essais en faveur de l'apprentissage d'un 'gai savoir'. Délaissant les libertins érudits, déjà bien étudiés, et les pornographes auxquels il a déjà consacré un ouvrage (Éros rebelle: littérature et dissidence à l'âge classique (Paris: Seuil, 2003)), Jeanneret s'attache aux 'zones grises' du Grand Siècle, où gravitent poètes bohèmes et conteurs facétieux, où 'plaisantins et écrivains sympathisent au point de se confondre' (p. 130); reprennent vie en quelques pages, sur les tréteaux, dans les tavernes aussi bien que dans les cercle les plus choisis, les Gautier-Garguille, Bruscambille, Tabarin, Saint-Amant, Dassoucy, Bernard Bluet d'Arbères, Boisrobert, Louis de Neufgermain, Étienne Binet, aux côtés des figures revisitées de Voiture, Scarron, Molière. La joie irrigue les thématiques (le corps et les appétits sensuels occupent une large place dans tous les textes examinés), le ton (rire, cocasserie, gaieté, mais également, car le rire n'est pas innocent, dérision, satire, ironie); elle imprègne aussi la langue, librement manipulée par les auteurs lorsque sa souplesse s'y prête encore (c'est le cas chez Béroalde de Verville), 'allègre' et 'scintillante' sous la plume d'un Dassoucy (p. 163), 'malmenée' par d'autres, dont le geste libérateur est lu comme un 'symptôme de santé linguistique' (p. 191). En ces temps où la morosité est de mise, où la facétie est associée à la cruauté (par exemple dans le stimulant essai de Hélène Merlin-Kajman, Lire dans la gueule du loup: essai sur une zone à défendre, la littérature (Paris: Gallimard, 2016)), l'on sort parfaitement revigoré d'une telle lecture.

Marie-Claire Thomine
Université De Lille, Alithila
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