In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Maroc: La Guerre des langues? by Yassin Adnan, et al.
  • Alexandra Gueydan-Turek
Adnan, Yassin, et al. Maroc: La Guerre des langues? Casablanca, En toutes lettres, 2018. ISBN 9789954987926. 169 p.

Issues d'histoires coloniales plus ou moins violentes, les littératures maghrébines d'expression française ont en commun un héritage linguistique qui n'a eu de cesse de déclencher la polémique. Longtemps considérée comme le symbole de l'acculturation de l'intellectuel maghrébin anciennement colonisé, ou encore comme son "butin de guerre," la littérature d'expression française était appelée, des vœux d'Albert Memmi (1957), à disparaître avec le renouvellement de son contexte de production et l'avènement des Indépendances:

Les prochaines générations, nées dans la liberté, écriront spontanément dans leur langue retrouvée. Sans attendre si loin, une autre possibilité peut tenter l'écrivain; décider d'appartenir totalement à la littérature métropolitaine. Laissons de côté les problèmes éthiques soulevés par une telle attitude. C'est alors le suicide de la littérature colonisée. Dans les deux perspectives, seule l'échéance différant, la littérature colonisée de langue européenne semble condamnée, à mourir jeune, et sans postérité.

(126)

Cette terrible prédiction a été, comme nous le savons, démentie par l'Histoire puisque la littérature maghrébine francophone continue à fleurir et occupe aujourd'hui une place de choix au sein de la francophonie littéraire. Il y va certes des campagnes d'arabisation bâclées, mais aussi du creuset particulièrement fécond qu'elle offre aux discours de contestation et de la densité de sa langue d'écriture, traversée par plusieurs codes linguistiques et culturels. La guerre des langues n'aura donc sûrement plus lieu, mais il n'en reste pas moins que les différentes langues coexistent dans un rapport de hiérarchie et de dissymétrie. Dans Maghreb pluriel (1983), Abdelkebir Khatibi décrivait déjà la complexité de la question linguistique en Afrique du Nord:

Mauvaise plaisanterie: nous, les Maghrébins, nous avons mis quatorze siècles pour apprendre la langue arabe (à peu près), plus d'un siècle pour apprendre le français (à peu près), et depuis des temps immémoriaux, nous [End Page 191] n'avons pas su écrire le berbère. C'est dire que le bilinguisme et le plurilinguisme ne sont pas des faits récents. Le paysage linguistique maghrébin est encore plurilingue: diglossie (entre l'arabe et le dialectal), le berbère, le français, l'espagnol […].

(179)

Or, si la question subsiste, elle ne se pose désormais plus en ces termes; la situation des pratiques langagières a sensiblement évolué ces dernières décennies et ce, surtout au Maroc où les langues en présence—l'arabe standard, la darija, l'amazigh, le français, l'espagnol, voire l'anglais1—sont désormais reconnues. Avec la création de l'Institut royal de la culture amazighe en 2002 et l'introduction de l'enseignement de l'amazigh dans le cursus scolaire en 2004, cette langue a fait l'objet d'un décloisonnement ethnique. La darija, longtemps rejetée dans le champ de l'informel et de la sphère privée, a gagné en visibilité et en prestige; langue de création à part entière, elle est au cœur d'un mouvement culturel et artistique novateur (voir le documentaire de Farida Benlyazid "Casa Nayda"). Au moment des Printemps arabes, la légitimation constitutionnelle vient entériner ces changements linguistiques. Si l'arabe standard demeure langue officielle, l'Article 5 de la nouvelle Constitution de 2011 stipule que "l'amazigh constitue une langue officielle de l'État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains" (5); il y est aussi question de préserver le hassani et les vernaculaires marocains, tout en soutenant "l'apprentis-sage et la maîtrise des langues étrangères […] en tant qu'outils de communication, d'intégration et d'interaction avec la société du savoir" (5).2 Et le...

pdf