Poétique et usages de la liste littéraire: Le Clézio, Modiano, Perec by Gaspard Turin (review)

Un texte particulièrement dense et technique sur un sujet qui, à première vue, paraît relativement simple. Comme le signale Gaspard Turin, la liste, 'l'une des formes scripturales les plus anciennes de l'humanité' (p. 6), a fait l'objet de plusieurs études récentes, ce qui démontre l'intérêt actuel des critiques pour cette forme longtemps associée à la tradition comique (François Rabelais et ses torche-culs, Dom Juan de Molière, etc.), mais aussi aux textes sacrés (les généalogies bibliques). Turin tente de définir et de catégoriser les listes dans leurs multiples contextes littéraires, ce qui mène à établir des distinctions entre l'énumération, l'accumulation et l'inventaire: 'Si l'énumération, dans le mélange qu'elle présente entre asyndète et polysyndète, présente une qualité de fermeture, celle-ci est pourtant bien plus irrévocable dans un inventaire' (p. 60). Turin propose en fait trois versions successives d'une définition de la liste dans un contexte littéraire: la première, qui est sans doute la plus évidente, insiste sur le fait que la liste est composée 'd'éléments discursifs identifiables et isolables' (p. 44); la deuxième fait ressortir l'association ou la complémentarité, dans le cadre de la liste, entre une 'information morphologique, singulière, répétée à plusieurs reprises' et des informations 'sémantiques, plurielles, qui à chaque reprise infléchissent cette répétition' (p. 68); la troisième indique que la liste comporte pour le lecteur une fonction d'apprentissage ludique, conduisant 'à un mode de participation lectorale qui s'apparente au jeu (de construction)' (p. 102). S'opposant de façon structurelle à un texte à but narratif, la liste interrompt et modifie le déroulement d'un récit, insérant un rythme différent dans le discours scriptural et imposant une segmentation du processus de la lecture: 'La liste résiste à la lecture romanesque; elle scandalise par l'agencement de ses items, qui se succèdent trop rapidement pour que le destinataire puisse les intégrer dans le paradigme qu'ils constituent virtuellement' (pp. 68–69). Malgré son sous-titre, l'ouvrage de Turin consacre relativement peu de pages à l'analyse des fonctions et effets de la liste dans les œuvres de 'ces trois monstres de la littérature française de la seconde moitiédu xx e siècle' (p. 147), J. M. G. Le Clézio, Patrick Modiano et Georges Perec. Le dernier des six chapitres ('Applications au corpus'), comme le précise Turin, 'sera trop court pour rendre compte de manière exhaustive de l'usage de la liste chez les trois auteurs auxquels il sera consacré' (p. 147). Le livre de Turin, qui est surtout à recommander aux spécialistes de la théorie littéraire, a donc une bien plus grande valeur en tant qu'étude générale du phénomène de la liste, dont l'usage en littérature semble avoir connu une recrudescence au cours du siècle dernier.