Renaissances de la rhétorique. Perelman aujourd'hui by Marc Angenot, Marc André Bernier et Marcel Côté (review)

Ce livre est le fruit d'un colloque tenu en 2012 à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Le sujet : l'influence actuelle de la pensée du philosophe belge Chaïm Perelman (1912-1984), ancien élève d'Eugène Dupréel, sociologue et éminent spécialiste de l'histoire de la philosophie grecque. Perelman allait enseigner la logique, la morale et la métaphysique à l'Université libre de Bruxelles. Ses travaux dans les domaines de la rhétorique de l'argumentation, des « notions confuses » et du concept du « raisonnable », lui ont valu la renommée partout en Occident. Son plus célèbre ouvrage, Traité de l'argumentation. La nouvelle rhétorique (désormais : Traité), a été rédigé et publié avec la collaboration de la sociologue Lucie Olbrechts-Tyteca qui a fourni, grosso modo, les exemples pratiques illustrant les théories de son collègue. Les essais réunis ici traitent essentiellement des leçons à tirer de ce livre séminal.

Dans sa préface, Marc André Bernier retrace les origines de cet « art mineur ». Perelman a renoué avec l'ars oratoria des Anciens, ouvrant de nouvelles perspectives et promouvant le principe du « libre examen », ce qui implique le rejet de tout argument d'autorité. Par là, le philosophe belge a créé un important outil pour défendre la démocratie, où la notion du « raisonnable » joue un rôle central. Dès son premier essai, De la justice (1945), l'auteur s'était opposé avec vigueur au « rationnel »—la parfaite cohérence d'un raisonnement déduit des textes de loi—, alors que le raisonnable est « synonyme de la marge d'interprétation dévolue au juge, de la prise en considération […] des conséquences sociales et civiques de la décision […] déterminée par les mœurs, les valeurs et les coutumes, l'équité ». Pour convaincre l'interlocuteur, il faut savoir produire des raisons probantes et établir des rapports entre elocutio et argumentation. D'après Perelman, cette dernière appartient davantage aux sciences de communication ou à l'anthropologie sociale qu'aux sciences du langage ou à la logique formelle. Il faut alors distinguer entre argumentation démocratique et propagande totalitaire, comme nous allons le voir surtout dans les deux dernières contributions du présent volume.

Le projet rhétorique du philosophe se trouve au centre des travaux du Groupe de recherche en rhétorique et en argumentation linguistique (GRAL, Université libre de Bruxelles) qui « renoue avec une rationalité ouverte, nourrie par la pratique et tournée vers un humanisme moderne [développant] l'humain dans l'homme ». Quant au libre examen, un concept hérité du XVIII^e siècle, celui-ci rejette « l'argument d'autorité en matière intellectuelle [et] demande de ne considérer aucun homme comme infaillible ». Lors de sa conférence « Humanisme et libre examen », prononcée le 16 mars 1945 (la Belgique avait été libérée en septembre 1944), Perelman a souligné que le libre examen « ne se développe que dans une société pluraliste, tolérant la coexistence de plusieurs valeurs absolues, et ne cherchant pas à les réduire à un seul système de valeurs ». Le philosophe venait d'élever la rhétorique au rang d'outil indispensable à la démocratie, capable de démasquer le discours des politiciens totalitaires, négationnistes et populistes.

Dans son importante contribution « Le rationnel et le raisonnable », Marc Angenot, lui-même ancien élève de Perelman, démontre l'importance du raisonnable, notion incontournable dans le domaine de la philosophie au XX^e siècle. Pour Angenot, « Perelman est un rénovateur de la rhétorique et [le] théoricien de l'argumentation dans la vie publique », qui visait autant le droit, la psychologie, la sociologie, la médecine que la philosophie. En droit, Perelman suggère au juge de...