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  • La désobéissance civile aux États-Unis et en France, 1970-2014 by Marianne Debouzy
  • Danielle Tartakowsky
Marianne DEBOUZY, La désobéissance civile aux États-Unis et en France, 1970-2014, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Des Amériques », 2016, 202 p.

En instituant l'individu pour centre de la société, la philosophie politique américaine lui confère ipso facto le droit à la divergence d'opinions : en vertu d'un tel droit, le citoyen peut cesser d'être consentant et le consentement donné par le peuple à l'État est révocable. En 1859, dans La désobéissance civile, Henry David Thoreau codifie à sa manière ces principes que les Américains font remonter aux fondements de la République. Ce célèbre essai, empreint de transcendantalisme, affirme que l'Homme est capable de décider en son âme et conscience de ce qui est juste. Il inspire puissamment et durablement de nombreux mouvements, dont celui porté aux États-Unis par Martin Luther King, mais également, par-delà les frontières, celui incarné par Gandhi.

Cet essai et les mouvements qui s'en réclament n'ont en revanche eu longtemps qu'un faible retentissement en France, où l'objection de conscience s'est inscrite avec plus d'évidence dans une tradition anarchiste. Les différences manifestes entre les deux États s'expliquent en partie par les différences dans le rapport au droit et au religieux. Marianne Debouzy souligne en particulier que la culture républicaine de la France ne reconnaît de face-à-face qu'entre le citoyen et l'État, là où la culture protestante ou libérale fait passer l'autonomie du citoyen par la communauté des corps intermédiaires.

Aussi faut-il attendre les années 1990 pour que la notion de « désobéissance civile », et les pratiques qui lui sont afférentes, s'acclimatent en France. Cette expression surgit dans le vocabulaire politique français en 1997, lors de la contestation [End Page 175] de la loi sur l'hébergement des étrangers, à l'appel initial d'un collectif de cinéastes, puis gagne d'autres secteurs, dont les instituteurs. L'essai de H. D. Thoreau fait, simultanément, l'objet de sept éditions de cette décennie à 2011, cependant qu'une relecture de la Résistance, valorisant la légitimité du « Non » par rapport à une discipline inique, vient doter la dite « désobéissance » d'actes fondateurs qui lui seraient spécifiques.

Selon Marianne Debouzy, cette circulation tardive de la « désobéissance civile » d'une rive de l'Atlantique à l'autre s'alimente d'une seule source d'inspiration, sans qu'il y ait le plus souvent de liens étroits, ni d'échanges programmés, entre les mouvements qui la pratiquent ou s'en réclament. Ce qui laisse ouverte la question de son émergence et de sa greffe. Greffe au demeurant suffisamment complexe pour que certains de ses sectateurs, dont José Bové, lui préfèrent presque aussitôt l'expression de « désobéissance civique », qui n'en est pas l'exact synonyme. Cette désignation évacue la notion de civilité et, par son entremise, de non-violence pour muer ce qu'elle désigne en expression redéfinie de la citoyenneté, autorisant l'émergence d'un droit nouveau. Elle favorise un basculement d'une affirmation personnelle de la conscience individuelle vers des pratiques collectives affirmées.

Marianne Debouzy étaye son propos en dressant un tableau des désobéissances civiles ou civiques à l'oeuvre dans chacun des deux pays, dans divers champs de contestation depuis les années 1970.

Elle s'attache d'abord aux opérations de désobéissance civile développées contre l'armée américaine au sortir de la guerre du Vietnam, une guerre dont certains des récits de vie parsemant l'ouvrage révèlent la dimension refondatrice au regard du sujet retenu chez bien des individus qui s'en réclament ultérieurement sur d'autres fronts. Le chapitre qui leur est consacré décrit plus particulièrement les luttes engagées avec le soutien actif de certaines Églises et, parfois m...

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