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  • Les années 68. Une rupture politique et culturelle by Damir Skenderovic et Christina Späti
  • Nuno ereira
Damir SKENDEROVIC et Christina SPÄTI, Les années 68. Une rupture politique et culturelle, Lausanne, Antipodes-Société d'histoire de la Suisse romande, « Histoire.ch », 2012, 191 p.

Longtemps délaissées par l'historiographie helvétique, les années 68 ont suscité ces dernières années un intérêt croissant, qui s'est cristallisé autour du quarantième anniversaire de Mai 68. La recherche historique a toutefois essentiellement produit des études locales. Présentant une vue d'ensemble de la période contestataire en Suisse, le livre de Damir Skenderovic et Christina Späti vient dès lors combler une lacune importante. Publié simultanément dans ses versions allemande (originale) et française, il rend désormais accessible à un large public un sujet qui restait confiné aux milieux universitaires. Le caractère pionnier de cet ouvrage, qui combine histoire politique et sociale, histoire culturelle et histoire du quotidien, est donc à saluer.

Pour analyser le cycle protestataire marqué par 1968, les auteurs recourent à différentes échelles. Si les événements suisses s'insèrent dans un contexte transnational, le propos adopte le plus souvent une perspective transrégionale, voire locale. En mettant en évidence des manifestations de la contestation dans des villes comme Bienne ou Lucerne, on perçoit l'étendue d'un phénomène qu'on a souvent réduit aux grandes villes, et notamment à Zurich, où a eu lieu à l'été 1968 l'action la plus retentissante : l'« émeute du Globus ». On saisit par là même le morcellement considérable du mouvement. Phénomène très régional, le 68 helvétique s'est fortement arrimé aux réalités locales et n'est que rarement parvenu à franchir les barrières linguistiques.

La périodisation adoptée n'est pas figée, les auteurs précisant que les années 68 vont de la fin des années 1960 au milieu des années 1970, même si le mouvement a connu son apogée entre 1968 et 1970 (sauf à Genève et à Lausanne, qui ont connu d'importantes mobilisations en 1971). L'éclosion de la contestation en Suisse s'inscrit dans la continuité d'un ensemble de courants non conformistes, intellectuels, étudiants, artistiques et politiques, qui constituent le « tissu rhizomique » des précurseurs de 68. Ces courants sont apparus dans la Suisse des années 1960, dont [End Page 165] les auteurs dressent le tableau suivant : économie prospère ; mouvement syndical soumis depuis la fin des années 1930 à la « paix du travail » (collaboration entre syndicats et patronat) et qui bénéficie d'une main-d'oeuvre étrangère peu payée et composée en grande partie de travailleurs saisonniers ; faiblesse de la gauche parlementaire, avec un Parti socialiste rompu à la politique de compromis et des communistes très minoritaires ; neutralité proclamée, bien que la Suisse affiche un anticommunisme viscéral et se place résolument du côté du « monde libre ».

C'est dans ce contexte qu'émerge la contestation helvétique, qui présente une remarquable diversité de déclinaisons, touchant aussi bien le mouvement étudiant qu'une multitude de nouveaux mouvements sociaux et d'organisations d'extrême gauche, sans oublier le milieu underground, le théâtre indépendant ou encore le cinéma d'avant-garde. De manière générale, des secteurs non négligeables de la jeune génération aspirent à de nouvelles manières d'être et de vivre. En témoigne l'essor des communautés à une époque où prévaut encore en Suisse l'interdiction du concubinage.

Le mouvement de 68 en Suisse partage avec ses homologues européens un système de valeurs et un éventail de combats contre tout ce qui est perçu comme oppressant : l'autoritarisme, le capitalisme, l'impérialisme, le fascisme, le patriarcat. Outre ces luttes, le mouvement s'engage sur des thèmes davantage spécifiques à la Suisse : la revendication de centres autonomes, l'antimilitarisme, la lutte contre la xénophobie et le soutien aux immigrés, ou encore la...

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