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  • Le Mai 68 des écrivains. Crise politique et avant-gardes littéraires by Boris Gobille
  • Jacques Girault
Boris GOBILLE, Le Mai 68 des écrivains. Crise politique et avant-gardes littéraires, Paris, CNRS Éditions, 2018, 400 p.

Prolongeant les analyses de Pierre Bourdieu, Boris Gobille, enseignant de science politique à l'École normale supérieure de Lyon, spécialiste de l'engagement des intellectuels, consacre une partie de ses travaux de sociologie politique à la crise de mai 1968. En se fondant sur les principaux apports de sa thèse, soutenue en 2003, [End Page 156] il examine le comportement d'un certain nombre d'écrivains d'avant-garde, qu'il isole du monde des intellectuels. Il s'agit pour eux de redéfinir leur statut dans le processus révolutionnaire espéré, tout en conservant des positions d'autorité et de responsabilité. Pourtant, à cette période, d'éminents intellectuels prévoient une crise mortelle de la littérature ! Pronostic qui se conjugue avec une volonté affichée chez certains révolutionnaires de libérer la parole de ses contraintes socio-politiques.

Liant démarches collectives et pratiques personnelles de ce groupe caractérisé par une recherche de radicalités d'origines variées, issues des courants d'inspiration révolutionnaire, l'auteur explique et dégage les investissements politiques. Les itinéraires des principaux acteurs pendant la Seconde Guerre mondiale et les engagements contre le colonialisme sont mis en rapport avec les luttes des années 1960. Ces dernières correspondent à l'ouverture d'espaces inédits conquis par des avant-gardes « émergentes », dans des zones désertées jusqu'alors ou occupées par une « avantgarde vieillissante », les surréalistes, qui survivent après la disparition d'André Breton en 1966. Ce groupe, qui échoue en cherchant une alliance avec des mouvements d'extrême gauche, anarchistes ou castristes, se dissout en 1969.

Prolongeant une analyse d'inspiration socio-linguistique, la démarche établit un rapport entre la place occupée par les écrivains dans la société et ses possibles transformations. La situation révolutionnaire ouvre un espace de légitimation et des groupes nouveaux apparaissent, comme le Comité d'action étudiants-écrivains (CAEE). Ses acteurs partagent des aspirations à « l'impersonnalité » et au « communisme de l'écriture ». Le groupe informel, qui refuse d'apparaître comme prophétique, survit jusqu'en février 1969. Un de ses porte-parole, Maurice Blanchot, multiplie les interventions, considérant qu'une guerre révolutionnaire serait souhaitable. Le CAEE ne peut gagner le soutien unanime des avant-gardes, d'autant que ses membres, le 21 mai 1968, lancent un appel à former l'Union des écrivains et à occuper les locaux de la Société des gens de lettres pour créer des « enjeux corporatistes », revendications difficilement conciliables avec d'autres aspirations des avant-gardes. L'auteur examine l'évolution, en mai-juin 1968, de ces dernières. Jusque-là, des auteurs influencés par le communisme s'exprimaient sur le terrain socio-politique. L'adaptation des comportements aux innovations imposées par l'ébullition d'une situation socio-politique inédite pourrait déboucher sur une révolution totale comportant la définition d'une politique de la littérature.

Les divergences entre revues d'avant-garde, Tel Quel autour de Philippe Sollers et, à partir d'octobre 1968, Change autour de Jean-Pierre Faye, traduisent une rupture et annoncent une « guerre fratricide » qui provoque, selon l'auteur, un « éclatement du front commun des avant-gardes ». L'alliance de fait entre les soutiens de Tel Quel et le Parti communiste français, via la revue La Nouvelle Critique, permet une résistance à la conception, répandue, selon laquelle la liberté de la création littéraire serait nécessairement sacrifiée par des écrivains sous influence. Mais les collaborateurs de Tel Quel finissent par se diviser tout comme les poètes publiant dans L'Action poétique. Le « réarmement révolutionnaire de l'écriture » explique les tentatives de créer une organisation professionnelle, syndicale, des écrivains, considérés comme des travailleurs susceptibles d'être exploités.

Boris Gobille réagit contre l'aspect univoque des interprétations des événements de...

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