- Sémiotique et vécu musical. Du sens à l'expérience, de l'expérience au sens by Costantino Maeder et Mark Reybrouck
La sémiologie musicale a pour objet les systèmes de signification qui organisent les relations entre différentes structures musicales (renvois intrinsèques) et celles qui lient le vécu des êtres humains à la musique (renvois extrinsèques). L'étude du sens en musique implique donc l'analyse et la description de plusieurs aspects propres au fait musical: le matériau sonore (signifiant), ce à quoi celui-ci renvoie (le signifié), les sujets qui réagissent aux signes musicaux, et le contexte culturel et historique de l'exécution et de l'audition (Nattiez 2004, 70–77). L'ouvrage Sémiotique et vécu musical, deuxième volume issu du 12e Congrès International de la Signification Musicale (ICMS) « Music, Semiotics, and Intermediality », présente les réflexions de chercheurs et d'artistes se penchant sur ces différents aspects du fait musical et sur les questions relatives aux nouvelles perspectives dans l'analyse sémiotique de l'expérience musicale.
La première des trois parties de ce livre s'ouvre sur un texte du musicologue Michel Imberty, La protonarativité, un concept entre neuroscience et musique. S'appuyant sur ses recherches en sémantique musicale expérimentale, l'auteur démontre que la signification en musique « résulte directement de l'organisation du temps musical pris dans sa dynamique et dans les effets que cette dynamique peut avoir sur l'auditeur ou même sur le compositeur » (p. 26). À l'aide du concept d'enveloppe protonarrative qu'il emprunte au psychologue Daniel Stern, Imberty explique comment l'expérience musicale s'organise au sein d'une protonarativité qui « découpe la continuité du temps existentiel en séquences pourvues d'un sens et d'une direction » (p. 42). Par ailleurs, il souligne très justement en quoi l'enveloppe protonarrative est elle-même fondamentalement musicale par son association à la voix humaine et du fait « qu'elle est en substance son et rythme, accent et modulation expressive » (p. 35). L'article de Christine Esclapez, L'expérience du musicologue comme rencontre, propose une réflexion autour de la définition de l'objet d'étude du musicologue. L'auteure soulève d'entrée de jeu l'ambiguïté du terme « objet » pour la musicologie et suggère plutôt celui de « territoire » plus adéquat à l'égard de la diversité des champs d'application de la discipline. Cette suggestion intéressante aurait pu être avantageusement développée, cependant l'auteure choisit de s'engager dans un exposé difficile à suivre autour de la notion plus ou moins bien définie de « réalité musicale » empruntée à Bernard Vecchione. Esclapez tente alors de démontrer en quoi la « réalité musicale » est régie par un processus de conversion du musical en mots mettant à profit deux qualités du signe musical: « l'invention-signe qui interroge les liens nécessairement fictionnels et discursifs entre le signe et la représentation de la réalité musicale et l'advention-signe qui interroge [. . .] le déploiement du signe effectué par la lecture interprétative » (p. 52). Ces deux qualités du signe musical seraient, selon Esclapez, garantes du « musicologique » comme rencontre.
La seconde partie de l'ouvrage « approfondit l'importance de l'expérience, de la description et de la descriptivité du vécu musical » (p. 17). L'article de Thomas Le Colleter, Comment traduire une écoute ?, porte sur la représentation d'une oeuvre musicale par la littérature. Analysant l'essai Wosseck d'Alban Berg ou le nouvel opéra du poète Pierre Jean Jouve, l'auteur interroge les présupposés idéologiques qui président à l'échange intermédial entre la littérature et la musique. Grâce à une discussion intéressante autour du concept de traduction qui fait intervenir les idées de Walter Benjamin et de Peter...