In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Du temps linéaire au temps global :Penser au-delà de la modernité avec la fiction contemporaine
  • Amaury Dehoux

La problématique du temps à l'époque contemporaine peut se formuler à partir de deux essais qui doivent être tenus pour paradigmatiques dans le champ des sciences humaines et qui sont, d'une part, La Fin de l'histoire et le dernier homme (1992) de Francis Fukuyama et, d'autre part, Où est passé l'avenir ? (2011) de Marc Augé. Dans son étude, l'anthropologue français montre ainsi que l'omniprésence et le progrès des technosciences engendrent une disparition de l'événement entendu comme un fait imprévisible qui crée une rupture entre différents ordres du monde et qui permet, par là, d'ordonnancer le temps. Une telle disparition s'accompagne dès lors d'une évacuation de l'avenir, qui s'efface devant un présent désormais imperturbable et, de facto, hégémonique.1 Pour sa part, dans La Fin de l'histoire et le dernier homme, Fukuyama affirme que la démocratie libérale marque le terme du progrès : à ses yeux, elle constitue en effet un stade indépassable de la société humaine, dans la mesure où elle répond pleinement au besoin de reconnaissance de l'homme.2 De cette façon, par leurs arguments respectifs, ces deux essais participent d'un même procès : ils mettent à mal la conception moderne du temps, en signalant que la linéarité qu'elle suppose tend à rejoindre un point de dissolution au sein du monde contemporain. Autrement dit, ces textes amènent explicitement à se demander s'il est encore approprié de convoquer une temporalité linéaire en vue de penser l'horizon existentiel de l'homme actuel.

Une telle interrogation trouve un écho manifeste dans la fiction contemporaine. En effet, au sein de la production romanesque et cinématographique des vingt dernières années, il est possible d'identifier une série d'œuvres qui, tout en jouant de procédés divers, se construisent clairement selon une contestation, ou un refus, de la linéarité du temps et de son lien exclusif au progrès. Il suffit à cet égard de citer La Flèche du temps (Time's Arrow) de Martin Amis, Tout-Monde d'Edouard Glissant, La [End Page 449] Possibilité d'une île de Michel Houellebecq, Cartographie des nuages (Cloud Atlas) de David Mitchell et Mr. Nobody de Jaco Van Dormael. Ces cinq œuvres sont autant de vignettes représentatives de l'épuisement de la modernité et des alternatives qu'elle autorise. En ce sens, il paraît pertinent d'établir une typologie à partir de ces différentes fictions et de dessiner entre elles une gradation susceptible de saisir une voie pour appréhender le temps en dehors de l'ontologie moderne et de l'idéal rectiligne qu'elle dispose.

Cette typologie peut se diviser et s'ordonner en trois termes. Le premier d'entre eux correspond au temps postmoderne, qu'illustrent La Flèche du temps et Mr. Nobody. Il se donne comme une pratique de déconstruction qui, depuis l'Occident, s'attache à miner la vision moderne de l'univers. Le second type s'institue comme le temps postcolonial. Ainsi que le montre Tout-Monde, il s'agit d'une temporalité qui, malgré la colonisation, joue de patterns culturels locaux–extra-européens–et qui, pour cette raison même, échappe aux fondements de la modernité occidentale. Le troisième et dernier temps de la typologie peut être qualifié de global. Actualisé par des romans tels que La Possibilité d'une île ou Cartographie des nuages, il synthétise les acquis des deux catégories précédentes en vue de proposer un modèle temporel apte à répondre aux configurations du monde contemporain.

Le temps postmoderne ou le jeu de la relativisation

Il faut reconnaître un trait remarquable à l'ontologie moderne qui caractérise l'Occident depuis le XVIIe siècle : celle-ci s'attache à placer l'origine de ses constructions culturelles dans l'observation de la nature.3 Autrement dit, une telle ontologie en vient littéralement à naturaliser ses constructions...

pdf

Share