L'orchestration de la mort : Les funérailles, des temps modernes à l'époque contemporaine par Élisabeth Belmas et Serenella Nonnis-Vigilante (review)

Qu'a-t-on fait historiquement des corps morts ? Issu de quatre journées d'étude tenues à Paris en 2013, l'ouvrage collectif L'Orchestration de la mort approche cette question par la métaphore bien choisie de l'orchestre. Chacun de ses contributeurs y analyse en effet la conception et l'exécution d'actes collectifs posés à l'endroit de défunts. L'ouvrage s'organise en trois parties.

La première d'entre elles, intitulée « Autour du corps mort », montre au fil de cinq chapitres combien la disposition des cadavres fait intervenir le statut, la fonction sociale et la confession religieuse des défunts. Elle montre, cependant, comment ces attributs de la personne décédée peuvent entrer en collision avec l'impératif de disposer convenablement de cette chose inanimée qu'elle est devenue, qui encombre parfois, gêne par sa décomposition et intrigue par les indices qu'elle cache quant aux causes du décès.

La seconde section de l'ouvrage, intitulée « Du cimetière consacré à la crémation », présente pour sa part cinq chapitres autour de l'histoire des sépultures. Trois de ces chapitres, respectivement de Jacqueline Lalouette, Nancy Gonzalez Salazar et Gaëlle Clavandier, y forment une suite cohérente sur l'histoire de la crémation. Portant sur l'estuaire de Rio de la Plata, le chapitre de Gonzalez Salazar constitue d'ailleurs au sein de l'ouvrage la seule excursion hors du continent européen. Les deux autres chapitres de la section concernent respectivement la disparition de Dom Sebastião, figure royale devenue légendaire dans l'espace lusophone, et la disposition des fœtus et des mort-nés dans le Paris du 19^e siècle. On peut regretter que cette section ne s'arrête pas davantage, comme son titre l'annonce, sur l'histoire du cimetière consacré¹.

L'organisation des funérailles, notamment l'apparat qu'elles peuvent impliquer, fait l'objet de la troisième et dernière section de l'ouvrage. Trois chapitres, ceux de Bruno Bertherat, d'Isabelle Renaudet et de Judith Wolf, s'intéressent aux organisations qui disposent de l'équipement propre au rituel funéraire (corbillards, cercueils, morgues, etc.)². Ces trois chapitres mettent particulièrement bien en évidence le souci, généralement manifeste dans l'ouvrage, de présenter les conditions matérielles de disposition des morts.

Dans son ensemble, L'Orchestration de la mort montre qu'il existe effectivement une histoire du corps mort, en raison des enjeux politiques, scientifiques et religieux qu'il soulève, par la désignation d'es-paces spécifiques vers lesquels on le fait circuler et parce qu'il incarne à la fois le récit d'une vie individuelle et l'occasion d'exprimer les mœurs funéraires d'une collectivité.

La vaste ambition de cet ouvrage explique ses défauts, notamment sur le plan de la chronologie. Le texte sur l'archéothanatologie des rites funéraires dans l'Antiquité romaine, par exemple, qui suit l'introduction générale et qu'on présente comme un « prologue », paraît en décalage par rapport aux autres textes. Après lui, on passe d'emblée au 17^e siècle pour ne plus quitter les époques moderne et contemporaine, comme l'indique le titre de l'ouvrage. Sur le plan géographique, si l'on parcourt l'Italie et le Portugal, on reste néanmoins surtout en France, souvent à Paris. Ce livre présente, cela dit, un nouvel exemple de la polyvalence disciplinaire à laquelle se prête volontiers l'histoire de la mort, ici enrichie d'apports provenant de la médecine, de la littérature, de l'archéologie, de la démographie et de l'anthropologie.

« Cadavre...