In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Médecin du travail, médecin du patron ? by Pascal Marichalar
  • Thomas Le Roux
Pascal MARICHALAR, Médecin du travail, médecin du patron ?, Paris, Presses de Sciences Po, « Nouveaux débats », 2014, 184 p.

Le travail c'est la santé, c'est bien connu, à tel point que tous les ans 500 personnes meurent encore de leur travail en France, soit du fait d'accidents, soit du fait de maladies. Le chiffre est par ailleurs sous-estimé, car la reconnaissance des pathologies létales au travail est un parcours semé d'embûches. Au cœur du dispositif de la santé au travail, se trouve le médecin du travail, une fonction créée par la loi du 11 octobre 1946. Le sociologue Pascal Marichalar s'attache à l'étude de cette figure centrale. Bien que le texte soit issu de travaux de doctorat, le format de l'ouvrage s'apparente à un essai qui revendique la prise de position. Dès le titre, P. Marichalar place le [End Page 184] médecin du travail au cœur d'enjeux économiques, ce qui lui vaut la suspicion d'être souvent le collaborateur des employeurs en adaptant les salariés aux impératifs de la production. Le débat engagé par l'auteur est en fait plus complexe car c'est la question de l'indépendance du médecin du travail qui est posée. C'est justement le positionnement critique de l'auteur qui permet de mettre en lumière les tensions et les ambiguïtés inhérentes à cette fonction : on ne les perçoit d'autant mieux que lorsque la notion de « neutralité » est déconstruite. La présentation très didactique est servie par une clarté d'écriture qui mêle adroitement l'étude du cadre réglementaire, le rôle des institutions et la pratique de terrain dans cinq chapitres qui peuvent se lire indépendamment mais qui finissent par faire corps.

Quelles sont les marges de manœuvre des 6 000 médecins du travail, dont le rôle est de protéger la santé des travailleurs, mais qui doivent bien souvent arbitrer entre santé et production ? Pour bien en mesurer les enjeux, P. Marichalar rappelle en introduction leur statut particulier : bien que médecins, ils sont salariés, soit dans leur entreprise si celle-ci est suffisamment importante (10 % seulement des cas), soit majoritairement par des associations patronales, les « services interentreprises » qui regroupent un nombre variable d'entreprises d'un territoire ou d'une branche professionnelle. De ce statut découle une relation de subordination salariale autour de laquelle se fixe le périmètre de leur indépendance. Si le droit définit clairement ce lien de sujétion, tout comme leur inhérente indépendance médicale, l'enquête sociologique et ethnographique montre les équilibres successifs et variés qui s'instaurent. La notion d'autonomie est préférée par l'auteur à celle d'indépendance, car elle permet de tenir compte à la fois des liens sociaux (et donc du droit et de la subordination salariale) et des pratiques des médecins, tout comme des rapports de force qu'ils subissent ou qu'ils instaurent pour le contrôle de leur « cœur de métier ». L'auteur a mené une enquête d'entretiens et d'observation auprès d'un échantillon de trente-deux médecins, dont il a eu soin de répartir les caractéristiques (âge, sexe, secteur économique) et qu'il a complétée par l'examen de nombreux dossiers de contentieux.

Pascal Marichalar montre que les médecins du travail déploient des stratégies fort différentes pour promouvoir leur autonomie et leur capacité à protéger la santé des salariés. Ces stratégies dépendent de nombreux facteurs conjoints : leur positionnement personnel – appétence pour le conflit, souci d'efficacité, niveau d'empathie pour les victimes du travail, relations de confiance envers le personnel et la direction –, le type d'entreprise, la jurisprudence interne aux services, les relations établies avec d'autres médecins, avec les inspecteurs du travail (agents de l'État) et les syndicats, mais aussi le...

pdf

Share