In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • La justice sociale dans un monde globalL'Organisation internationale du travail (1919-2019)
  • Sandrine Kott

L'Organisation internationale du travail (OIT) est fondée en 1919 dans le contexte des négociations de paix et sa constitution forme la partie XIII du traité de Versailles. Jusqu'en 1940, elle fonctionne comme une sorte d'agence technique de la Société des Nations1 mais, à la différence de celle-ci, son déménagement à Montréal en 1940 lui permet de survivre à la Seconde Guerre mondiale. En 1944, les principes qui ont présidé à sa fondation (la justice sociale, la condamnation du travail-marchandise) sont réaffirmés dans la Déclaration de Philadelphie, dont le texte est alors annexé à sa constitution. À l'issue de cette seconde naissance, l'organisation rejoint les Nations unies en 19462.

L'OIT prépare donc aujourd'hui son centenaire, qu'elle a placé sous le signe de l'« avenir du travail3 ». Alors que l'on prophétise la « fin du travail », l'Organisation choisit d'en réaffirmer l'importance et, du même coup, sa propre nécessité dans un contexte de remise en cause de la légitimité des objectifs de régulation économique et sociale qui avaient fondé son existence. Ce dossier se saisit de cet anniversaire pour réinterroger l'histoire de l'OIT et, à travers elle, les conditions nécessaires à la mise en œuvre de régulations sociales internationales et les formes que celles-ci [End Page 3] peuvent adopter. Pour ce faire, les contributions prennent pour point de départ les objectifs qui sont au cœur de la mission de l'Organisation, soit la justice sociale et son universalisation. En 1919, la constitution de l'OIT s'ouvre sur cette proposition : « Attendu qu'une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale », tandis qu'en 1944, la Déclaration de Philadelphie réaffirme de manière claire l'objectif d'universalité : « tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».

Cette autodéfinition des missions de l'Organisation demande bien entendu à être interrogée et c'est ce à quoi s'emploient les auteurs de ce dossier. Ils se penchent sur les contours de la notion de justice sociale telle qu'elle est élaborée, promue et mise en œuvre par différents acteurs au sein de l'OIT, ainsi que sur les limites posées aux conditions de sa réalisation dans des contextes économiques et internationaux très contraints. Ils montrent également comment la justice sociale entre en tension avec la revendication d'universalité qui fonde l'existence de l'Organisation. Ce dossier participe de la richesse actuelle des travaux historiques sur l'OIT et contribue à l'alimenter.

Une histoire en renouvellement

L'OIT a fait l'objet d'une très riche production scientifique caractérisée, comme en témoigne ce dossier, par l'interdisciplinarité et la diversité des points de vue. Les inflexions de cette production épousent celles de l'histoire de l'organisation. Dans les années de l'entre-deux-guerres, les principaux travaux historiques sont le fait de juristes surtout, mais également d'acteurs syndicaux et politiques, de sociologues et économistes qui travaillent dans ou avec l'Organisation. Ces études remplissent alors avant tout une fonction d'information, d'explicitation et de légitimation. Très optimistes sur les possibilités ouvertes par l'existence de la nouvelle organisation, elles n'en interrogent ni les fondements institutionnels – tripartisme –, ni les présupposés idéologiques – réformisme social –, ni les limites géographiques – occidentalo-centrisme. Ces travaux qui reprennent et explicitent le discours de l'OIT sur elle-même constituent aujourd'hui des sources utiles pour l'historien. Après la Seconde Guerre mondiale, le consensus sur lequel s'était édifié l'OIT est toutefois doublement battu en brèche. Les États communistes interrogent la légitimité du pacte social sur...

pdf

Share