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  • De l'« esprit de Philadelphie » à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises
  • Alain Supiot (bio), Sandrine Kott (bio), and Laure Piguet

Absolument. Les Suisses aussi…

En effet, puisque même les premières préfigurations des conventions de l'OIT ont été adoptées à Berne en 1906. Ainsi, tout un mouvement précéda la création de l'Organisation. Il est d'ailleurs intéressant de voir que ce sont des initiatives privées, plutôt qu'intergouvernementales, qui sont à l'origine de cette histoire.

La Déclaration de Philadelphie s'inscrit dans un moment particulier, celui de la fin de la Seconde Guerre mondiale et dans la filiation, avec les ambiguïtés qui étaient les siennes, de la politique du New Deal de Roosevelt ; ambiguïtés qui d'ailleurs transparaissent dans le texte. Ce moment du New Deal est caractérisé par une tension entre, d'une part, une conception économique de la justice sociale, identifiée à la croissance et à l'emploi, et, d'autre part, une conception politique, faisant de l'autonomie dans et par le travail la condition de la démocratie. Cette seconde conception, qui vise à étendre la démocratie à la sphère économique, procède d'une longue tradition : l'un de ses principaux représentants au début du XXe siècle fut le grand juriste Louis Brandeis1, dont l'œuvre a certainement influencé Roosevelt. Ces deux inspirations se retrouvent donc dans la Déclaration.

Cette Déclaration se présente à la fois comme une réaffirmation et un élargissement de l'acte fondateur de 1919 : « l'expérience – peut-on y lire – a pleinement [End Page 153] démontré le bien-fondé de la déclaration contenue dans la constitution de l'Organisation internationale du Travail, et d'après laquelle une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ». Nous avons affaire à un « sursaut dogmatique », c'est-à-dire à l'affirmation d'un principe indémontrable (la justice sociale) et des droits fondamentaux qui en découlent pour tous les êtres humains. La Charte des Nations unies, adoptée un an plus tard, n'hésite pas de son côté à « proclamer notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations ». Cette condamnation implicite des systèmes prétendant fonder la société humaine sur les lois supposées de la Nature ne se réclame toutefois pas de l'idéalisme, mais au contraire de l'expérience des massacres épouvantables engendrés par la croyance en ces lois immanentes, qu'elles soient biologiques, économiques ou historiques.

En 1919, l'ambition des fondateurs de l'OIT avait été de faire de la Conférence internationale du travail une sorte de Parlement mondial du travail, habilité à élaborer un ordre public social international d'application universelle. Telle était l'idée de départ, même si rapidement, du fait notamment du refus américain, cette législation internationale a pris la forme d'un self-service normatif, où chaque pays compose son menu à sa guise. À cette idée première d'une législation sociale internationale, la Déclaration de Philadelphie ajoute une ambition nouvelle : celle d'un ordre fondé sur la fraternité. Elle ne pouvait être placée sous meilleure égide que celle de la cité de Philadelphie, dont le nom, forgé du grec (φιλαδελφία : « amour fraternel »), symbolise l'aspiration de ses fondateurs à un monde de fraternité. La première chose nouvelle dans la Déclaration de Philadelphie est son appel à établir une solidarité économique et sociale entre les nations. De là découle son exigence de voir le droit et les institutions économiques et financières régulièrement évalués au regard de leurs performances en termes de justice sociale. Cet appel à la coopération plutôt qu'à la compétition était novateur par rapport au texte de 1919, qui se limitait à poser les bases d'une police sociale de la concurrence internationale. La seconde chose vraiment nouvelle, quoique assez peu remarquée dans cette D...

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