In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • L'OIT, le Saint-Siège et les milieux catholiques africains et latino-américains dans les années 1950 et 1960
  • Aurélien Zaragori

Depuis la création de l'Organisation internationale du travail (OIT) en 1919, de nombreuses voix ont souligné la convergence entre les principes contenus dans la constitution de l'Organisation et la doctrine sociale de l'Église. Elle repose notamment sur une conception commune de la justice sociale, nécessaire au bien commun dans la perspective catholique sociale, et condition sine qua non d'une paix durable, selon les idées qui ont présidé à la création de l'OIT. Cette parenté est le résultat de la participation des catholiques sociaux aux travaux de la « nébuleuse réformatrice1 » du dernier tiers du XIXe siècle : celle-ci a tout à la fois renforcé et légitimé ces acteurs catholiques et facilité la circulation de leurs idées dans les milieux qui ont donné naissance à l'OIT. La justice sociale, alors brandie comme symbole de cette proximité, est celle qui doit s'appliquer aux relations entre patrons et ouvriers, à partir de l'idée selon laquelle le travail « n'est pas une marchandise ». En ce sens, la création de l'OIT est perçue comme un pas vers la constitution d'un espace de dialogue au sein duquel l'État jouerait un rôle régulateur. L'accent mis sur cette convergence sert également à légitimer les relations nouées entre plusieurs organisations catholiques – la Jeunesse ouvrière chrétienne, par exemple – et le Bureau international du travail (BIT), secrétariat de l'OIT. Albert Thomas, premier directeur du BIT, s'attache à développer ces relations pour offrir à son organisation le soutien de l'opinion catholique, en particulier pour la ratification des conventions votées à Genève. Il parvient pour cela à obtenir en 1926 le détachement au sein du BIT d'un prêtre jésuite issu de l'Action populaire, le père André Arnou, titulaire d'une thèse de doctorat sur « La participation des travailleurs à la gestion des entreprises2 ». Cinq prêtres se succèdent jusqu'au début des années 1980, tous jésuites, français et issus de l'Action populaire, le centre de recherches jésuite sur les questions sociales établi à Vanves. Pour la période couverte par notre étude, il s'agit des pères Albert Le Roy (1935-1955) et Joseph Joblin (1956-1981). L'engagement du Saint-Siège reste cependant peu important en raison de la prudence affichée à l'encontre des institutions de Genève. Le jésuite n'en est ainsi qu'un représentant officieux : le Saint-Siège lui dénie toute vocation à le représenter officiellement – mais n'hésite cependant pas le cas échéant à s'appuyer sur sa connaissance des milieux internationaux.

Tout en reprenant ces principes, la Déclaration de Philadelphie, adoptée par la Conférence internationale du travail en 1944, introduit une définition élargie de [End Page 123] la justice sociale3. Cette conception met davantage l'accent sur le respect des droits sociaux attachés à chaque être humain. Elle évoque, en outre, la mise en œuvre de programmes d'action, offrant ainsi une reconnaissance officielle de l'assistance technique qui compléterait une activité jusque-là principalement (mais pas exclusivement) normative4. Elle offre enfin également une définition géographique de la justice sociale, laquelle ne doit pas seulement être entendue à l'échelle d'un pays mais également entre pays et régions du monde.

Quarante ans après Rerum novarum, la doctrine sociale de l'Église a de son côté également été précisée. L'encyclique Quadragesimo anno, publiée en 1931, lie ainsi la justice sociale à la charité5. Cette idée est caractéristique de la vision chrétienne de la société. L'Église n'aborde pas la question d'une évolution de la structure sociale, mais incite ses membres à agir, de leur position sociale, comme les membres d'une entité organique. En 1941, dans son radio-message de la Pentecôte, par lequel il célèbre le...

pdf

Share