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  • Le parent pauvre de la gouvernance économique mondiale ?L'OIT face aux crises de 1929 et de 2008
  • Marieke Louis

En mars 2009, quelques mois après l'éclatement de la crise de 2008, l'Organisation internationale du travail (OIT) était invitée à participer à une réunion du G20 de Londres sur le monde du travail. Ironie de l'histoire, c'est à Londres que s'était tenue, en 1933, une conférence économique internationale dans le contexte de la Grande Dépression, à laquelle l'OIT avait également participé en essayant de promouvoir une politique économique et sociale articulée autour d'un ambitieux programme de travaux publics. Mais là où l'OIT était restée en marge des débats, notamment sur la question du chômage dans les années 1930, son message trouve un tout autre écho dans ces années 2000. Dans la déclaration finale, le G20 de Londres appelle en effet l'OIT, en collaboration avec les organisations internationales concernées, à participer à l'effort de reconstruction des économies1. Six mois plus tard, à Pittsburgh, en présence du directeur général de l'OIT d'alors, Juan Somavia, le G20 relaie explicitement, et pour la première fois, le programme de l'OIT, formulé en 2009 dans le Pacte mondial pour l'emploi. Sa déclaration finale, adoptée à l'unanimité des membres, affirme qu'une action efficace pour sortir de la crise « doit être guidée par l'Agenda du travail décent2 ». L'Agenda du travail décent (« decent work »), lancé en 1999 par Juan Somavia, dans une dynamique de réforme et de revalorisation de l'Organisation dans le système multilatéral, a principalement consisté en une synthèse des objectifs de l'OIT3, dans la lignée de la Déclaration de Philadelphie de 1944, rappelant l'interdépendance de l'emploi, des droits au travail, de la protection sociale et du dialogue social. La déclaration du G20 de Pittsburgh insiste ainsi sur le fait que :

Dans de nombreux pays, le chômage reste à un niveau inacceptable. […] Nous ne cesserons pas nos efforts tant que l'économie mondiale n'aura pas retrouvé sa pleine santé et que les travailleurs partout dans le monde n'auront pas trouvé un emploi décent4. […] Pour assurer une croissance mondiale qui bénéficie au plus grand [End Page 45] nombre, nous devons mettre en œuvre des politiques conformes aux principes et droits fondamentaux au travail de l'OIT5.

Cette participation de l'OIT au G20 s'inscrit dans une histoire plus longue des revendications de l'OIT à occuper une place et à exercer une autorité sur les questions économiques au niveau mondial, à l'aune d'un idéal de justice sociale6. Or, depuis sa création, sa représentation et son influence demeurent incertaines. Comment l'expliquer ? Nous proposons de comparer ici les réponses de l'OIT face à deux crises économiques majeures des XXe et XXIe siècles : celle de 1929 et celle de 2008. Ces deux crises sont en effet l'occasion pour l'OIT de mettre en avant des propositions de politique économique, relatives aux travaux publics dans l'entre-deux-guerres, et au Pacte mondial pour l'emploi dans le contexte de la crise de 2008, pacte qui reformule l'Agenda du travail décent lancé dix ans plus tôt et auquel la crise donne une actualité nouvelle. La comparaison de ces deux contextes et de ces deux expériences à la fois politiques et économiques vise à mieux cerner les déterminants de cette marginalisation relative de l'institution dans la gouvernance économique mondiale, que ce soit face à des États tentés par le repli protectionniste et peu enclins à coopérer dans l'entre-deux-guerres, ou face à des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, OCDE notamment) tenantes d'une idéologie d'ordre néolibéral à laquelle l'OIT et, de manière plus générale, les institutions onusiennes, tentent d'opposer une alternative d'ordre néokeynésien.

Avant même de nous prononcer sur la nature de ces idées et programmes, nous verrons tout d'abord...

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