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  • L'unification du mouvement coopératif au Bureau international du travailla « révolution silencieuse » d'Albert Thomas
  • Marine Dhermy-Mairal

Nous gardons confiance […] parce que le principe coopératif travaillera pour ainsi dire de lui-même à l'intérieur des nations en faveur de la paix. Au régime de compétition et de concurrence, il substituera le régime d'accord et d'harmonie, de droit et de justice. Ce qu'il fait à l'intérieur des nations, est-ce qu'il ne va pas le faire entre toutes les nations1 ?

Dans la première moitié du XXe siècle, la « question sociale » est presque exclusivement étudiée à partir du monde de l'industrie. Tenue à Washington en octobre et novembre 1919, la première Conférence internationale du travail, lieu de lancement de la journée de huit heures et des activités de l'Organisation internationale du travail (OIT) en faveur de la paix et de la justice sociale, ajourne par exemple la question de savoir si la réduction du temps de travail doit aussi concerner le monde agricole. Trop complexe, trop spécifique, trop diverse, l'agriculture est mise au ban des décisions internationales. Elle le restera jusqu'en 1921, où la Cour pénale de justice internationale décide de trancher en faveur de l'OIT, qui revendiquait le droit de s'occuper des questions agricoles, contre l'avis du gouvernement français. En dépit de cette entrée remarquée de l'agriculture dans la réforme sociale, il faut bien en admettre la marginalité, ce qui explique que les historiens s'y soient peu intéressés2.

Ce serait pourtant passer sous silence les efforts de l'OIT pour assurer aux agriculteurs de justes conditions d'existence. Pas moins de sept recommandations furent votées par les États membres au cours de l'année 19213. L'Organisation s'activa en outre pour collecter des statistiques sur le monde agricole, en collaboration avec l'Institut international d'agriculture de Rome fondé en 1905. Elle développa enfin un programme d'unification coopératiste inédit, permettant d'articuler en pratique les activités des coopératives de consommation et des coopératives agricoles de production, c'est-à-dire d'organiser rationnellement l'offre et la demande sur le [End Page 15] plan international4. Cet article se penche plus spécifiquement sur ce programme, qui permet de revisiter le rôle de la coopération – en particulier agricole – dans la réforme internationale du monde économique et social en ce premier tiers du XXe siècle, à partir de plusieurs angles. Premièrement, bien des chercheurs ont insisté, à raison, sur les conflits entre les différentes formes de coopération, et les ont étudiées indépendamment les unes des autres5. Les coopératives ambitionnent, au même titre que les associations, les syndicats ou les mutuelles, d'organiser le collectif afin de répondre à un enjeu social. Tous ces groupements plus ou moins institutionnalisés répondent à des besoins divers (crédit, santé, réforme, etc.) et reposent sur des principes parfois opposés les uns aux autres du fait de la diversité des idéologies qui les soutiennent (autonomie ou dépendance politique, libéralisme ou socialisme, laïcité ou christianisme, etc.). La coopération même est multiple : les coopératives de production agricole, dans l'entre-deux-guerres, restent par exemple dominées par des chrétiens d'obédience libérale, tandis que les coopératives de consommation sont dominées par les francs-maçons, souvent socialistes au début du XXe siècle. La « révolution silencieuse6 » d'Albert Thomas participe ainsi, en ce sens, d'une tentative d'unification du mouvement coopératif, qui place la réforme sociale au-dessus des particularités politiques ou religieuses. Cette unification est placée, comme chez Charles Gide, sous les auspices de l'« économie sociale », dont l'usage a une portée nettement politique7. Cet article décrit un moment de convergence du mouvement coopératif, qui pense ensemble les coopératives de consommation et...

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