Europe de l'Ouest

Comment un lecteur se plonge-t-il dans un texte poétique? L'ouvrage de Béatrice Bloch offre des éléments de réponse à la fois théoriques et pratiques à cette question de l'immersion du lecteur-sujet dans le texte-objet, le texte poétique. Celui-ci se caractérise, selon Bloch, par sa "construction esthétique" (8) et le plaisir sensoriel qu'il suscite chez son lecteur au moyen du matériau musical — "les rythmes et les sons" (72) —, et des images qui se dessinent dans l'esprit du lecteur. Ouvrage théorique s'il en est, Une lecture sensorielle se focalise sur l'expérience de lecture et la place du lecteur, sujet pour lequel la critique contemporaine dépend encore d'études aujourd'hui désuètes — d'où la pertinence de cet ouvrage. En s'appuyant sur les travaux de Jean-Marie Schaeffer et David Gullentops, Bloch définit l'imaginaire comme "capacité" (8) du lecteur. De cette capacité surgit presque intuitivement la perception sensorielle, avant ou au-delà de l'interprétation de la "croyance dans un univers mimétique" (11), et ce, à travers la lecture d'une "texture évocatoire" (18) où l'émotion et l'affectivité s'activent davantage.

Ouvrage pratique également dans lequel, à partir de textes sélectionnés regroupant des auteurs aussi divers que Julien Gracq, Claude Simon, Yacine Kateb, Chloé Delaume et André du Bouchet, Bloch expérimente comment les lecteurs réels vivent et imaginent (20) les deux différents types de dispositif esthétique. Face aux éléments graphiques et auditifs qui se dégagent de la lecture d'un texte poétique, les lecteurs font une expérience directe de l'œuvre: ils vivent le texte, se laissent ravir par sa lecture, plus qu'ils ne l'analysent. En revanche, dans le cas des images, l'expérience est plus indirecte chez les lecteurs: ces derniers ralentissent leur lecture afin de réaliser mentalement une image. Somme toute, "[a]ctualisation de la sensation (des éléments graphiques et auditifs) et obliquité de l'imagination se rejoignent pour faire une lecture sensorielle totale" (114). Bloch explique ainsi l'alchimie du plaisir de lire un texte poétique en valorisant non seulement "la puissance esthétique du texte" (201), mais aussi la capacité de perception et d'imagination du lecteur; ces deux énergies, qui se confrontent et se complètent, justifient au final la lecture d'un texte poétique. En outre, son choix de corpus transgénérique confirme la potentialité opérationnelle d'une lecture sensorielle de toute forme, même prosaïque.