In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Introduction:Épistémologies et ontologies environnementales
  • Sarah B. Buchanan (bio)

L'Écocritique autour de l'arbre à palabres

L'écocritique est un courant de la théorie littéraire et culturelle développé par des intellectuels américains. C'est à Walden Pond que Thoreau retrouve ses liens avec la nature et plante les racines de cette théorie contemporaine. C'est avec les idées de William Rueckert, de Lawrence Buell et de Cheryl Glotfelty que, dans les années 1980, on explore les liens entre la littérature et le monde naturel ainsi que la façon dont le concept de nature émerge des structures sociales. Plus récemment entrent en scène l'idée d'intersections entre la nature et les constructions de genre, de classe et de race, puis le développement des théories posthumaines qui défont le rôle central de l'humanité dans un effort pour capter et comprendre les voix des plantes et des animaux.

Le développement de l'écocritique en Amérique du Nord ainsi que sa propagation en Europe ont suscité la méfiance dans certains cercles de la francophonie. Soit on accuse cette théorie d'être trop scientifique, soit on l'accuse d'être une école de pensée trop étroitement associée aux philosophies américaines et, par conséquent, mal ajustée aux pays en voie de développement. On accuse même l'écocritique d'être une nouvelle forme de colonialisme intellectuel qui mènerait à des analyses littéraires qui ne tiendraient pas compte des spécificités des divers imaginaires francophones. On voit également des liens entre l'environnementalisme et le néocolonialisme économique, car des gouvernements et des organismes lancent parfois des initiatives vertes en vue d'obtenir une aide financière. Pire, ils importent des systèmes écologiques sans prendre en compte les problèmes locaux ou la faisabilité des procédés implantés. Comme William Slaymaker l'avait déjà résumé en 2001 dans son article, "Ecoing the Other(s): The Call of Global Green and Black African Responses":

For some black African critics, ecolit and ecocrit are another attempt to "white out" black Africa by coloring it green. To some African critics and writers, who directly participated in the liberation of their nation-states from colonialism, what ecocriticism offers is not another theory of liberation [End Page 121] like Marxism. Rather, it appears as one more hegemonic discourse from the metropolitan West.

(132)1

Pour ces intellectuels africains noirs, l'écocritique rappelle le colonialisme car ses buts et ses méthodes proviennent des sociétés, des cultures et des peuples d'Amérique du Nord et d'Europe et sont souvent attachés à des politiques internationales et aux nombreux pièges qu'elles tendent. Si, comme l'écocritique nous l'enseigne, la nature est conçue à travers un prisme culturel, cette démarche théorique et les buts qu'elle poursuit ont été pourtant jusqu'à très récemment clairement adoptés par l'Ouest. Il s'ensuit que son usage pour interpréter ou comprendre la littérature africaine risque d'être teinté d'illégitimité car il représente une vision externe — et l'on a raison d'être prudent.

Pourtant, la nature n'appartient pas à l'Ouest.

La nature est universelle et nécessaire à la vie, et les problèmes environnementaux sont globaux. Ces deux dimensions concernent bien évidemment autant l'Afrique que les autres régions du monde. De plus, depuis les origines de la littérature et du cinéma africains, le monde naturel y est représenté de façon prépondérante. Dans la production fictionnelle africaine francophone comme dans celle de sa diaspora antillaise, les rapports entre le monde naturel et les humains sont profonds, omniprésents et culturellement ancrés. La terre, la flore et la faune sont utilisées comme personnages principaux depuis les temps immémoriaux dans les contes oraux où lions, hyènes, lapins, buffles, oiseaux, arbres, etc. interagissent avec les humains. C'est aussi le cas dans les épopées anciennes, comme on le voit dans Soundjata où l'environnement (représenté par...

pdf