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  • Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre dir. par C. Pessis, S. Topçu et C. Bonneuil
  • Tomas Le Roux
Céline PESSIS, Sezin TOPÇU et Christophe BONNEUIL (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre, Paris, La Découverte, « Poche », 2016 [2013], 312 p.

Bonne nouvelle : l'histoire naïve et monolithique de la croissance économique des décennies d'après-guerre se fissure. En rassemblant diverses contributions [End Page 144] souvent inspirées par une approche d'histoire environnementale, cet ouvrage renouvelle notre vision des trop fameuses « Trente Glorieuses ». Cette expression forgée par l'économiste Jean Fourastié en 1979, en écho aux « Trois Glorieuses » de la révolution de 1830, met en exergue la singularité de la période 1945-1975, caractérisée par le plein-emploi, une amélioration des conditions de vie et une forte croissance économique–en moyenne 4 % dans les pays de l'OCDE, contre 1 à 2 % sur le temps long. Avec les chocs pétroliers des années 1970 et la reprise de croissances modérées, la nostalgie d'une période prospère et bénie a imprégné nombre d'études historiques postérieures. En modifiant les angles d'analyse, il n'est plus possible aujourd'hui d'adopter cette vision consensuelle de la période : tel est le projet insinué par le titre de cet ouvrage collectif qui, plutôt que compiler des articles dispersés sans fil intégrateur, comme c'est souvent le cas, a le mérite de lier toutes les contributions dans un programme cohérent de révision. Après une solide introduction, chacune des parties est présentée de façon problématisée.

Les « Trente Glorieuses » seraient-elles mal nommées ? Dans une démarche classique, les coordinateurs du volume s'attachent tout d'abord à relativiser les ruptures que constitueraient les bornes de la période. En amont, ils soulignent par exemple que le régime de Vichy ne peut être assigné à l'immobilité, et que la modernisation et la planification commencent avant 1945. En aval, le choc pétrolier ne constitue une rupture que dans l'ordre des indicateurs macroéconomiques. Prendre la période en un seul bloc naturalise une séquence sans être attentif aux inflexions internes aux trois décennies. En somme, plutôt que de se focaliser sur la quantification de la croissance, qui gomme des mutations structurelles, il faudrait aussi prendre en compte d'autres facteurs, certes moins glorieux, pour comprendre la période et la mettre en perspective–en premier lieu les questions de l'échange inégal et de l'accès aux matières premières. Même en conservant la chronologie, l'attention aux effets collatéraux de la croissance amène les auteurs à renommer la période les « Trente Ravageuses » ou encore les « Trente Pollueuses », car l'accent est ici mis sur les revers de cette croissance.

Parmi les chantiers que les auteurs assignent au projet de révision de la période, deux grands domaines émergent de l'ouvrage. Le premier questionne la geste modernisatrice au regard des discours et des externalités du modèle de développement adopté après 1945. Le second redonne voix aux contestations, aux alertes et aux controverses, en analysant notamment par quels processus la critique a été gouvernée. La déconstruction des catégories établies traverse l'ensemble des articles à des degrés divers, tour à tour en regardant la façon dont les acteurs ont agi, et comment les sciences sociales ont contribué à l'élaboration de ces catégories. La réflexivité poussée de l'ouvrage ne mène donc pas seulement à une « autre histoire », ou une contre-histoire, mais aussi à une analyse des processus de mise en récit de la période.

Dans la distance prise avec la geste modernisatrice, les auteurs s'interrogent sur la construction des catégories « croissance », « progrès », « modernisation », que des outils tels que le PIB (produit intérieur brut, indicateur créé aux États-Unis en 1932...

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