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  • L'événement Anthropocène. La Terre, l'histoire et nous par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz
  • Marc Élie
Christophe BONNEUIL et Jean-Baptiste FRESSOZ, L'événement Anthropocène. La Terre, l'histoire et nous, Paris, Éditions du Seuil, 2016 [2013], 320 p.

Ce livre remarquable est rafraîchissant de vigueur intellectuelle et de radicalité critique. Ses deux auteurs relèvent le défi que des scientifiques ont jeté aux historiens : en proposant que la révolution industrielle ouvre une nouvelle ère dans la géologie, le chimiste Paul Crutzen fait coïncider histoire de la Terre et histoire des sociétés. [End Page 134] Cette nouvelle époque, c'est l'anthropocène, au cours de laquelle les humains sont devenus une force majeure de destruction de la planète. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, chercheurs au Centre Alexandre Koyré, ne prennent pas pour argent comptant le récit historique véhiculé avec le concept d'anthropocène, celui de l'éveil écologique après un long aveuglement sur l'impact de nos activités sur la Terre. Ils cassent les chronologies erronées et remplacent les discours lénifiants par un récit politisé, qui révèle la concomitance de la réflexivité environnementale et de la destruction croissante des écosystèmes au cours des deux derniers siècles. En déconstruisant la genèse des décisions qui nous ont conduits à l'anthropocène, ils montrent que d'autres voies étaient possibles, et enjoignent à redécouvrir la force critique des recherches historiques. Ce livre exigeant invite un large public à discuter de la réalité et de la signification de l'anthropocène. Le présent compte rendu, en se concentrant sur les prises de position qui paraissent contestables à son auteur parmi un grand nombre de thèses passionnantes, se veut une contribution à ces débats.

Anthropos, jardinier de l'univers

Les auteurs adoptent le concept d'anthropocène, mais ils en refusent l'appareil interprétatif et idéologique. S'ils choisissent « anthropocène », concept disputé chez les géologues, c'est qu'il porte la radicalité de la critique écologique : nous ne traversons pas une simple crise environnementale, passagère et essentiellement surmontable ; avec l'âge industriel nous sommes passés sans retour de l'holocène à une ère géologique nouvelle, marquée par une forte instabilité climatique et le dérèglement des cycles biogéochimiques majeurs.

Les auteurs refusent l'indifférenciation sociale véhiculée par le concept d'anthropocène et insistent sur le fait que ce n'est pas l'homme en tant qu'espèce (anthropos) qui est responsable de l'anthropocène, mais un certain mode de vie promouvant certains dispositifs techniques au profit de certains intérêts économiques. Les destructions environnementales sont toujours la victoire de forces sociales sur d'autres. Ils consacrent leur ouvrage à décortiquer par quels « petits coups de force » (p. 270) les variantes les plus corrosives de l'existence humaine se sont imposées comme progressistes, bonnes et nécessaires. Ils réintroduisent ainsi la conflictualité sociopolitique dans un récit simpliste de l'anthropocène vu comme « glissement inconscient » d'Homo sapiens séduit par les irrésistibles attraits d'une modernité sourde aux dégâts environnementaux.

Ils distinguent aussi un projet politique de nature technocratique chez ceux qu'ils appellent les « anthropocènologues » : d'inquiétants apprentis sorciers imaginant que l'anthropocène les place aux commandes du « vaisseau-terre ». Il est vrai que le discours de l'anthropocène court le péril de recycler la vieille conception anthropocentrique de la nature humanisée dans laquelle l'humanité est propriétaire et ordonnatrice du monde naturel. Mais cette généralisation est abusive : la vision de l'anthropocène comme un développement positif proche de la noosphère de Vladimir Vernadsky et de la géo-ingénierie n'est portée que par quelques scientifiques et ne forment pas un mouvement dominant. Crutzen lui-même souligne que l'anthropocène est avant tout un désastre pour la planète et que la géo-ingénierie n'est...

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