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  • ÉditorialJalons pour une histoire environnementale contemporaine
  • Stéphane Frioux

Du point de vue de l'histoire, comme de nombreuses autres sciences sociales, l'environnement ne peut pas se concevoir sans l'homme qui le nomme, le définit et s'en fait une représentation, avant de le transformer ou bien de chercher à le protéger. Sans cesse retravaillé par les actions individuelles et collectives, objet d'écrits innombrables depuis les années 1970, il est un fait social incontestable 1. Tout au long du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, la montée des discours sur la dégradation du « milieu », depuis le déboisement des pentes montagnardes jusqu'à la raréfaction de certaines espèces de poissons, a préparé le spectaculaire essor des thématiques environnementales, un quart de siècle après la redistribution majeure des cartes géopolitiques opérée par la Seconde Guerre mondiale, dont les conséquences se font sentir durant plusieurs années. Depuis plus de quatre décennies, de la même façon que les questions relatives à la politique « de la ville », à la « cohésion sociale » ou à l'égalité entre les femmes et les hommes ont accédé à la reconnaissance au plus haut sommet de l'État, les thématiques environnementales ont alimenté des phénomènes sociaux, politiques, culturels, tout comme des reconfigurations économiques et des évolutions matérielles dans les domaines de l'énergie, des mobilités et des consommations et productions alimentaires, pour n'en citer que quelques-uns.

Ces changements discrets, effectués de façon progressive et non à la manière d'une « révolution », sont documentés par une masse volumineuse d'archives, désormais largement classées et consultables pour celles qui relèvent des structures publiques, et qui, pour les fonds privés, commencent à faire l'objet de dépôts ou d'opérations de collecte/sauvegarde, dans lesquelles les historiens ont leur rôle à jouer 2. Les acteurs [End Page 3] de cette époque témoignent, ou s'intéressent à la transmission de leur expérience 3.

À l'heure où l'on s'approche du cinquantenaire de l'irruption relativement soudaine d'une politique « de l'environnement », tant au sein des instances internationales que du côté des États occidentaux 4, il est souhaitable de s'interroger sur la place que l'histoire contemporaine peut jouer dans l'étude des transformations sociales et des mouvements collectifs que ce nouvel objet à géométrie variable, l'environnement, a engendrés 5. Si la sociologie et la science politique l'ont précédée au siècle dernier 6, le rattrapage est rapide, à mesure que se développent les études empiriques et les publications qui en sont issues. Le classement de nombreuses archives sur l'environnement laisse d'ailleurs augurer une floraison de travaux et de publications qui va se poursuivre, dans un dialogue avec les autres composantes thématiques et chronologiques de l'approche environnementale en histoire. Avant d'introduire trois articles qui en saisissent des enjeux divers, à l'échelle locale ou nationale, durant les années 1970–un accident industriel, une installation potentielle de raffinerie, le positionnement de syndicalistes à l'égard du nucléaire–, on proposera quelques pistes de travail qui susciteront, nous l'espérons, un essor des recherches d'histoire environnementale du temps présent 7.

De l'économique au culturel, la diversité des objets et des problématiques

Plaidons pour la pluralité des problématiques d'étude. Dans un contexte soumis à de profondes mutations, telles les transformations de l'appareil [End Page 4] industriel occidental et la globalisation accrue des capitaux et des marchés, l'histoire sociale et environnementale du temps présent ne peut pas faire l'impasse sur la dimension économique 8. C'est d'ailleurs le secteur des entreprises qui a fait l'objet d'une des premières thèses qui lui ont été consacrées. Dans celle-ci, Daniel Boullet se livre à une étude minutieuse de la façon dont les contestations de plus en plus nombreuses des pollutions ont obligé les industriels à « se verdir » 9. Le ministère...

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