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  • Aimer en toute infidélité:L'analyse d'un adultère hors-norme dans Hiroshima mon amour
  • Vincent Grégoire

En mémoire à mon père

Denis de Rougemont explique, dans L'Amour et l'Occident, que, depuis des siècles, l'adultère est un thème central des littératures européennes. Et la littérature française n'y fait pas exception, tout au contraire. Rougemont, après avoir posé la question: "Sans l'adultère, que seraient nos littératures?" (17) expose la raison, selon lui, de la « popularité » de ce thème: "la moitié du malheur humain se résume dans le mot d'adultère" (17).

Hiroshima mon amour, la célèbre œuvre de Marguerite Duras écrite pour le cinéma en 1958 et portée à l'écran par Alain Resnais en 1959, présente une histoire d'adultère hors-norme dans la mesure où les deux héros, s'ils tombent violemment amoureux l'un de l'autre lors d'une rencontre de passage, expliquent qu'ils sont heureux avec leur époux respectif: "Lui: 'Je suis un homme qui est heureux avec sa femme.' … Elle: 'Moi aussi je suis une femme qui est heureuse avec son mari.' Ceci est dit dans une émotion véritable" (OC II 45-46, italiques de l'auteur).1 Dans l'ouvrage, Duras mentionnera par deux fois encore ce bonheur conjugal : dans le synopsis: "Ce sont des gens heureux dans le mariage et qui ne cherchent ensemble aucune contrepartie a une infortune conjugale" (OC II 10); et en appendice : "Il [le Japonais] n'est pas coureur. Il a une femme qu'il aime, deux enfants" (OC II 102, italiques de l'auteur). Pourquoi Marguerite Duras a-t-elle inclus cet élément, somme toute [End Page 17] de détail, qui n'était pas nécessaire à l'intrigue et pouvait surprendre, pour ne pas dire choquer, le spectateur? Etait-ce pour provoquer un "effet de réel" à la Barthes et rendre l'histoire encore plus crédible par l'insertion d'un sentiment amoureux apparemment paradoxal? A moins que le but n'ait été de refléter une nouvelle "sensibilité du cœur" anticipant la libération sexuelle et sentimentale des années I960?2

Cette situation "d'adultère heureux" pour le moins originale et certainement de rupture, en 1958-59, par rapport à la tradition littéraire amoureuse évoquée par Rougemont, si elle singularise les personnages principaux de cette œuvre, ne convainc cependant pas pleinement. Simone de Beauvoir explique, dans Le Deuxième sexe, que la femme qui tombe amoureuse "est rarement tout à fait sincère quand elle prétend n'envisager qu'une aventure sans lendemain tout en escomptant le plaisir, car le plaisir, loin de la délivrer, l'attache" (615). En ce qui concerne plus précisément la relation amoureuse adultérine, le psychiatre et psychanalyste Gérard Leleu écrit que "toute infidélité repose sur une insatisfaction" (Wattier et Picard 395), cependant que le psychologue Aldo Naouri explique, lui, que "l'adultère n'est jamais, jamais [mot qu'il répète] l'effet d'un caprice ou d'un hasard. Il s'inscrit toujours dans un parcours existentiel dont nombre d'éléments proches ou lointains auront rigoureusement déterminé sa survenue" (41).

Nous allons, dans cette étude, tenter de comprendre pourquoi Marguerite Duras, défiant la morale de l'époque, a animé les deux personnages d'un désir d'aimer "en toute infidélité" alors que ce sentiment s'oppose encore fortement à la culture dominante et n'apparaît avoir aucun rôle fonctionnel dans l'histoire. Est-ce l'émancipation culturelle et sexuelle en voie d'éclosion caractérisant la fin des années 1950 qui a incité l'auteur de Hiroshima mon amour à prêter ces sentiments aux protagonistes? Peut-on, dans un autre mode de pensée, aller jusqu'à dire, comme le fait Jacqueline Sudaka-Bénazé-raf, que dans "Hiroshima mon amour les deux personnages sont mariés mais leur rencontre n'a aucun rapport avec un adultère" (95)?

Christophe Carlier, dans son ouvrage intitulé Marguerite Duras, Alain Resnais...

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