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  • Yves Bonnefoy et l’avenir du divin par Patrick Werly
  • Hugues Azérad
Yves Bonnefoy et l’avenir du divin. Par Patrick Werly. (Savoir lettres.) Paris: Hermann, 2017. 428 pp.

Reprendre son bien à la religion, telle est la tâche première de la poésie selon le grand poète disparu récemment, et tel est l’objet de cette remarquable étude qui va fouiller aux fondements de l’œuvre poétique et critique de Bonnefoy, faisant appel à des sources à la fois théologiques, philosophiques, anthropologiques et littéraires. Au lieu de se perdre dans des arguties au sujet des affinités de surface entre les grands signifiants religieux et l’emploi des termes comme ‘l’Un’, ‘la présence’, ‘le divin’, ‘le sacré’, ‘l’amour’, ‘la transcendance’, ‘la parole’ etc., Patrick Werly désambiguïse l’emploi et la trajectoire de ces termes dans la poétique de Bonnefoy, en prêtant une attention particulière à son dialogue constant avec les grandes pensées de son époque (via le dictionnaire sur les mythes, la découverte de Kierkegaard par le biais de Jean Wahl, les amitiés avec artistes et poètes (Giacometti, Celan), et son propre travail de critique (Dante, Elsheimer, Jouve, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Bram van Velde)). La première section du livre se focalise sur la pensée du poétique qui s’affirme en athéisme averti, en ouvrant et comblant une faille dans les systèmes de connaissance régnant en France au tournant des années 1950. Ni déni, ni reniement, la poésie de [End Page 302] Bonnefoy renouvelle la confiance dans une forme de langage qui échappe aux dogmes, qu’ils soient ceux des religions ou ceux de la modernité qui a commencé au dix-septième siècle: ‘Avec la modernité une histoire des religions devient possible et on pourra se demander si elle n’est pas l’un des discours qui rendent possible la poésie moderne’ (p. 16). Le salut dans la poétique de Bonnefoy ne vise pas un au-delà, mais s’ancre dans une finitude enfin comprise dans l’infini dialogue et tension permanente que la poésie exige de nous. Werly passe ensuite à des commentaires pénétrants du mythe de Céré et des Mystères d’Eleusis, où c’est finalement l’intermittence qui l’emporte, et où le poétique abolit tout en préservant leur mémoire vivante, les mythes, la mystique (Suhrawardî d’Alep) et le sacré. S’ensuivent des analyses sur les grands signifiants religieux et leur rapatriement vers une poétique laïque, au travers des volumes marquants du poète. Enfin, il faut retenir les pages sur Kierkegaard, qui seront essentielles pour la critique qui se penche sur la poésie et la pensée d’après-guerre, en particulier la notion de ‘reprise’ et la forme de dialectique polyphonique que permet le saut d’un stade à l’autre chez le philosophe danois. Pour Bonnefoy cependant, la poésie est un mouvement qui reprend les autres stades (esthétique, éthique et religieux) pour les amener au stade ultime, le stade poétique. Poète du simple et de la parole, Bonnefoy fait s’embraser le sens dans le son, révélant avec ténacité la puissance sans pouvoir de la poésie, seule garante encore d’un ‘nous’ inclusif et sans périmètres: ‘C’est à chacun de nous qu’il appartient de travailler à cette conversion de la parole qui est simultanément metanoia, en ce qu’elle se détourne radicalement d’un usage purement communicationnel de la parole, et epistrophè, en ce qu’elle retrouve ainsi le lointain sourire du visage de l’enfance’ (p. 386). Ce livre déploie de façon qui fera date une analyse ample et rigoureuse de la pensée poétique de Bonnefoy, qui sourd d’une des rares poésies qui sache faire de l’hairesis pleinement assumée, le fondement d’un ‘Noël sur terre’ (Rimbaud).

Hugues Azérad
Magdalene College, Cambridge
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