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  • De peuple à minorité de langue officielle :la SANB et la quête d’un développement global, 1972-2016
  • Mathieu Wade (bio)

DEPUIS LES ANNÉES 1970, l'institutionnalisation de l'Acadie, particulièrement au Nouveau-Brunswick, s'est faite en lien étroit avec l'État. La mise en place d'un nouveau régime linguistique, amorcée par les lois sur les langues officielles (LLO) au Canada et au Nouveau-Brunswick en 1969, et poursuivie par l'adoption de la Loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick en 1981 (loi 88) et l'enchâssement des droits linguistiques dans la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, ont transformé l'organisation, les modalités d'action et la définition de l'Acadie. Dans ce texte, nous nous intéresserons aux effets de cette étatisation sur la société civile acadienne du Nouveau-Brunswick. C'est effectivement au Nouveau-Brunswick que le projet politique acadien s'est exprimé avec le plus de complexité et de vigueur du fait du poids démographique et de la concentration géographique des Acadiens et des Acadiennes. Depuis l'échec du projet autonomiste porté par le Parti acadien, qui culmina à la Convention d'orientation nationale acadienne (CONA) de 1979, l'Acadie du Nouveau-Brunswick se pense, s'exprime et agit désormais à l'intérieur des balises du régime linguistique. Il n'est toutefois pas certain que ce régime, qui ne reconnaît que l'existence d'une communauté linguistique, permette à l'Acadie de se représenter comme peuple à part entière.

À l'aube de l'institutionnalisation du nouveau régime linguistique, deux observateurs de la scène acadienne n'avaient d'ailleurs que des mots durs à son endroit. Pour Michel Roy, « on sacrifi[ait] volontiers des millions de dollars à la cause d'un bilinguisme […] et nous mord[i]ons avec une merveilleuse fébrilité en Acadie […] alors que l'enjeu réel, ce n'est pas la langue. C'est le contrôle de tous les trésors du territoire1 ». Quatre ans plus tard, Léon Thériault renchérissait, estimant que le régime linguistique contraignait l'Acadie à n'être qu'une entité linguistique et culturelle2.

Ces thèses trouvent écho dans certaines lectures critiques plus contemporaines du régime linguistique. Certains estiment que le régime a contribué à la judiciarisation de l'identité acadienne3, qui se construirait désormais en fonction du droit linguistique plutôt qu'en fonction de projets nationaux, et au corporatisme de son [End Page 224] milieu associatif4, qui doit désormais rendre compte à ses conseils d'administration et à l'État, qui lui assure son financement. Au point où, selon le sociologue Joseph Yvon Thériault, « la représentation de la communauté est principalement définie par les catégories des enveloppes budgétaires octroyées par Patrimoine canadien5 ». Le régime linguistique contraindrait ainsi l'Acadie à se représenter comme minorité de langue officielle plutôt que comme peuple.

Le parcours de la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) témoigne bien de cette tension structurante entre, d'un côté, la volonté d'autonomie institutionnelle, politique, économique de l'Acadie du Nouveau-Brunswick en tant que peuple et, de l'autre, sa réduction à une minorité de langue officielle manœuvrant à l'intérieur des balises du régime linguistique. L'évolution du mandat de la SANB et les crises qui l'ont secouée offrent un portrait ambivalent de la capacité de l'Acadie à se représenter et à agir en tant que peuple, révèlent une nette tendance à réduire la collectivité à ses seuls enjeux explicitement linguistiques.

La SANB : représentante de l'Acadie ou de la francophonie?

Si l'Acadie est sans État propre, elle s'est néanmoins intégrée de façon croissante aux gouvernements fédéral et provincial6. L'institutionnalisation de l'État providence dans les décennies d'après-guerre et plus particulièrement sous le régime de Louis J. Robichaud au Nouveau-Brunswick a entraîné une « "expropriation" de la société civile...

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