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  • Identités nationales, cultures ethniques et la Question d'Orient dans les récits de voyage de Dora d'Istria (1828–1888)
  • Vassiliki Lalagianni (bio)

Dans le livre de Richard Cortambert Les Illustres voyageuses, publié en 1866, l'écrivaine roumaine d'expression française, Dora d'Istria, apparaît comme une voyageuse exceptionnelle et une femme érudite dont les ouvrages étaient très lus et appréciés. De même, Armand Pommier dans Profils contemporains. Mme la Comtesse Dora d'Istria, paru en 1863, la présente comme une femme de lettres importante et une voyageuse inlassable qui s'intéresse au sort des peuples visités. Et encore le marquis de Villemer dans son livre Portraits cosmopolites paru en 1870, la caractérise comme une « grande cosmopolite » (Le marquis de Villemer 177)1. En fait tous les contemporains de Dora d'Istria qui ont écrit sur elle ont fait valoir son esprit aventureux, et ont souligné son cosmopolitisme et l'aspect orientaliste de ses ouvrages. L'œuvre de Dora d'Istria, longtemps tombée dans l'oubli, comme c'est le cas pour d'autres femmes érudites du XIXe siècle, telles Marguerite Durand, Susan Voilquin et Hubertine Auclert, attire de nouveau l'attention des chercheurs et des chercheuses. C'est au début du XXIe siècle que Liviu Bordas a commencé à publier une série d'études sur elle dans le but de montrer l'amour profond de l'écrivaine pour son pays natal, la Roumanie2. D'autres études ont paru à la même époque dont deux biographies, une en 2004 de ses compatriotes Cristia Maksutovici et Georgeta Penelea-Filitti, et l'autre en 2007 d'Antonio Alessandri [End Page 187] qui, lui, a insisté sur la période où l'écrivaine a choisi de vivre à Florence. Deux ans plus tard, Iris Avdi-Kalkani s'est intéressée aux relations de l'écrivaine avec les intellectuels grecs ainsi qu'aux traductions de ses livres en grec. Et finalement, en 2012, Mihaela Chapelan avec son article « L'identité rhizomatique de Dora d'Istria », qui se base sur la théorie de Gilles Deleuze et de Félix Guattari3, a essayé de reconstruire une nouvelle identité pour Dora d'Istria, dont les origines sont revendiquées aussi bien par les Roumains que par les Albanais.

De notre côté, nous allons nous plonger dans un domaine qui n'a pas été approché par la critique : montrer, à travers les articles et les récits de voyage de Dora d'Istria, son intérêt fervent pour le destin politique des diverses nations balkaniques et son implication dans la cause de l'indépendance des Balkans au sein de l'Empire ottoman4. En effet, la prise de position de Dora d'Istria de s'engager dans la lutte pour l'indépendance des peuples de la péninsule balkanique nous paraît digne d'analyse. C'est l'époque, rappelons-le, où l'idée de la création des États-nations a émergé dans toute l'Europe et où la dite Question d'Orient a commencé à devenir une préoccupation des hommes politiques et de l'intelligentsia européenne. Nombreux sont ceux qui ont tenté de suivre de près le destin de l'Empire ottoman en déclin, d'intervenir dans la politique extérieure des puissances européennes et de soutenir les peuples dans leur révolte contre les Ottomans. Cette époque est également celle de l'émergence des nations comme nouvelle identité, considérée comme une adhésion à des valeurs, à un programme d'avenir et à un esprit commun. La lutte de Dora d'Istria la situe au même rang que les érudits européens de l'époque qui se sont prononcés en faveur de la liberté des diverses ethnies soumises aux Ottomans et la différencie par contre des autres voyageuses de son époque qui ont visité les régions du Sud-Est européen5 sans se préoccuper de leurs problèmes. Elle montre dans son engagement une activité inlassable : voyages dans les Balkans et contacts avec les souverains des ethnies de la région...

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