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  • Destins de l'eugénisme by Paul-André Rosental
  • Marion Thomas
Paul-André ROSENTAL.–Destins de l'eugénisme, Paris, Éditions du Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2016, 561 p.

S'étendant sur douze hectares au pied du Parlement européen à Strasbourg, l'ancienne cité Ungemach n'a pas foncièrement changé depuis sa création en 1924. Celui qui la traverse aujourd'hui peut s'étonner de ce lotissement urbain composé de [End Page 134] 140 pavillons couleur rose ou paille entourés de jardins. Son étonnement sera encore plus marqué lorsqu'il apprendra que cette cité était « destinée à aider des jeunes ménages en bonne santé désireux d'avoir des enfants et de les élever dans de bonnes conditions d'hygiène et de moralité ». C'est l'histoire de cette cité-jardin et de ses concepteurs, ainsi que la manière dont ses enjeux eugénistes furent réappropriés par des politiques de santé publique après la Seconde Guerre mondiale, que propose Paul-André Rosental, spécialiste de l'histoire sociale et politique des populations et théoricien de la micro-histoire.

C'est un livre érudit et très documenté, composé de quatre parties. La première décrit le projet de la cité Ungemach et sa dimension eugéniste dans le contexte de l'entre-deux-guerres alsacien. On apprend que la cité offre des pavillons individuels à loyer bon marché à de jeunes couples modestes, mais pas pauvres. Il s'agit en effet pour les promoteurs du projet, non pas d'accueillir des populations ouvrières chassées des villes, mais d'offrir à une « petite bourgeoisie » (ouvriers qualifiés, contremaîtres) de meilleures conditions de vie. Le projet vise à faire prospérer ces classes prévoyantes qui ont tendance à réduire leur progéniture afin de leur garantir un meilleur avenir social. Pour bénéficier des logements confortables et spacieux de la cité Ungemach, il leur faudra remplir une condition spéciale : respecter une clause de progéniture, injonction à la procréation.

La deuxième partie explore les personnalités et les motivations des initiateurs de cette cité-jardin. Sa réalisation a reposé sur la collaboration entre un industriel alsacien de l'alimentation en gros, Léon Ungemach, et Alfred Dachert, un de ses associés. Le projet bénéficia aussi de la complicité du maire socialiste Jacques Peirotes qui, particulièrement sensibilisé à la question du logement social, céda à Ungemach un terrain que la ville s'engageait à viabiliser. Ungemach, qui s'était enrichi pendant la Première Guerre mondiale, cherchait à faire oublier ses activités spéculatrices par l'entremise d'une oeuvre philanthropique. Homme d'affaires polyglotte, Dachert était aussi poète, auteur de nombreuses pièces de théâtre, dont une série de sept tragédies eugénistes. Convaincu par les arguments natalistes de son époque et imprégné de l'eugénisme de Galton, il rêvait de mettre en application les principes dits « positifs » de ce dernier, à savoir favoriser les bonnes naissances en encourageant la reproduction des individus jugés les meilleurs. Sa vision était héréditariste : les parents dotés de qualités intellectuelles, morales et physiques élevées avaient plus de chances d'avoir des enfants intelligents et en bonne santé. Cependant, l'eugénisme de Dachert se caractérisait aussi par une dimension psychologique. En effet, même si les futurs parents étaient sélectionnés pour des qualités innées, le rôle de la mère dans l'éducation était considéré comme fondamental pour le bon développement des enfants.

La troisième partie explore en détail le processus de sélection, notamment en s'intéressant au formulaire d'entrée à remplir par les familles pour devenir locataires. Est soulignée la question piège sur la « profession exercée par l'épouse » et à laquelle une réponse positive entraînerait le rejet de la demande. Paul-André Rosental pointe aussi du doigt la discipline rigoureuse à laquelle sont soumis les habitants : une fois par an, des inspecteurs surgissent à l'improviste pour vérifier la propreté et l'ordre...

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