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  • L'utopie en héritage. Le Familistère de Guise (1888-1968) by Jessica Dos Santos
  • Adeline Blaszkiewicz
Jessica DOS SANTOS.–L'utopie en héritage. Le Familistère de Guise (1888-1968), Tours, Presses universitaires François Rabelais, « Perspectives historiques », 2016, 452 p.

L'ouvrage tiré de la thèse triplement primée (prix d'histoire François Bourdon ; prix de l'Association pour le développement de la documentation sur l'économie sociale ; prix Crédit agricole d'histoire des entreprises) de Jessica Dos Santos est, disons-le d'emblée, un remarquable ouvrage d'histoire, dont la qualité d'analyse et la clarté du propos sont à souligner. Le sujet est en lui-même un défi, celui de dresser une « histoire totale » (p. 8) du Familistère de Guise, de la mort de son illustre fondateur Jean-Baptiste Godin en 1888 à son rachat par la société Le Creuset en 1968, qui signe ainsi la fin de l'historique Association. Histoire totale car l'ouvrage de l'auteure est au croisement de l'histoire économique–celle d'une entreprise –, de l'histoire sociale, des ouvriers et employés qui la font vivre, et de l'histoire politique–celle du lien inextricable entre le Familistère, la question sociale née au XIXe siècle et les mouvements sociaux et politiques qui en découlent au siècle suivant.

L'ouvrage se divise en trois parties chronologiques, qui permettent de suivre les grandes évolutions de l'entreprise articulées autour de deux césures qui bouleversent profondément son histoire sur le plan économique. Après une période de grande prospérité héritée des années Godin, la Grande Guerre laisse un bilan matériel et humain désastreux pour les Familistériens qui voient leur « Palais social » en grande partie détruit par l'occupant allemand. Le choix de la reconstruction « à l'identique » et de la poursuite de la politique industrielle conçue par Godin trente ans plus tôt a empêché, selon l'auteure, l'adaptation de l'entreprise aux évolutions économiques de l'entre-deux-guerres quand ses concurrents directs ont suivi la voie de la modernisation de leur appareil productif mais aussi de leurs techniques commerciales et publicitaires. La deuxième césure, 1938, est l'année de l'adoption par la gérance d'un plan de modernisation qui arrive bien tardivement, mais qui permet à l'entreprise de se maintenir pendant la Seconde Guerre mondiale. La gérance sait d'ailleurs parfaitement s'adapter au discours corporatiste porté par Vichy, dont le corollaire est l'adoption en 1941 de la Charte du Travail que René Rabaux applique avec un zèle qui lui vaudra d'ailleurs de fortes critiques internes. Engagée dans la voie de l'entente professionnelle qui lui permet de maintenir son rang, l'entreprise ne peut cependant surmonter ses difficultés structurelles durant les Trente Glorieuses [End Page 132] (inadaptation des structures de commercialisation, faiblesses des investissements sur le plan financier, attachement à la tradition et lenteur dans le renouvellement de l'appareil productif). Les raisons de l'échec sont claires pour Jessica Dos Santos : ce n'est pas tant la spécificité statutaire de l'Association et le « poids » des oeuvres sociales qui ont conduit à son déclin progressif, mais bien une incapacité chronique à s'adapter à un environnement économique marqué par une modernisation accrue du secteur, ainsi que par une concurrence nationale et internationale croissante à laquelle l'entreprise, trop attachée à la tradition industrielle héritée de l'époque du fondateur, ne sait pas faire face. L'importance de l'héritage de Godin est donc à double tranchant. Il a pu apparaître comme une charge, un défaut structurel, sur le plan industriel. Mais sur le plan sociopolitique, l'héritage du projet de Godin fait bien la singularité du « Palais social ».

On appréciera ainsi le choix de retracer la filiation intellectuelle de Godin avec les théories fouriéristes pour mieux en évaluer le décalage, permettant de saisir le Familistère de Guise comme une « expérimentation » (p. 16) et non comme une pure « utopie » vouant...

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