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Reviewed by:
  • Vichy au Canada. L'exil québécois de collaborateurs français by Marc Bergère
  • Samuel Kalman
Marc BERGÈRE.–Vichy au Canada. L'exil québécois de collaborateurs français, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2015, 328 p.

Tout comme la France, la société québécoise s'efforce depuis les années 1990 d'affronter ce que l'historien français Henry Rousso appelait « un passé qui ne passe pas ». Depuis longtemps, les chercheurs ont écrit sur la « Grande Noirceur », catholique et conservatrice, de Maurice Duplessis, qui précède la Révolution tranquille instaurée dans les années 1960 par Jean Lesage et René Levesque en politique et par Claude Ryan, Michel Tremblay et Gilles Vigneault, entre autres, dans le domaine culturel. Si, pendant la plus grande part du XXe siècle, les Québécois sont restés « les fesses serrées » devant le contremaître, victimes du patronat anglophone, de l'Église catholique et des fonctionnaires vénaux, la période portait aussi en germe un changement considérable, incarné par le nationalisme embryonnaire de Lionel Groulx et ses fidèles. Certains historiens ont fait de « l'Émeute Maurice Richard », qui s'est déroulée en mars 1955, le commencement du chemin accompli vers la modernisation rapide de l'économie et de la société, suivi par les efforts considérables de l'équipe Lesage et, dans les années 1970, par le mouvement souverainiste de Levesque et du Parti québécois. Mais la plupart ont aussi insisté sur le rôle déterminant de Groulx et consorts ; avant les années 1990, personne n'a mis en cause cette version des faits. En 1993, la publication de l'ouvrage controversé d'Esther Delisle, Le traître et le juif, a ouvert un débat sur la Grande Noirceur et ses conséquences. S'agissait-il d'une époque gâchée par l'ultra-catholicisme et le conservatisme ? Le chanoine Lionel Groulx et les autres géants intellectuels et culturels vénérés ont-ils été les adeptes de la pensée royaliste et antisémite de Charles Maurras et de l'Action française, voire les soutiens de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie ? Les souverainistes ont-ils été liés intimement aux pires débordements idéologiques du XXe siècle ? Les sympathies fascistes de jeunesse de nombreuses figures politiques et culturelles, comme l'ancien premier ministre du Canada Pierre Trudeau et le lieutenant-gouverneur Jean-Louis Roux, furent dénoncées. La controverse prit de l'ampleur dans le contexte du référendum de 1995 sur la souveraineté au Québec. Lors de son discours de défaite devant les partisans de l'indépendance, le premier ministre du Québec et leader de la campagne du « Oui », Jacques Parizeau, attribua le résultat à « l'argent et au vote ethnique ». Vingt ans après, le débat sur l'existence d'un Québec fasciste, antisémite et réactionnaire se poursuit.

Jeté dans cette mêlée, l'ouvrage de Marc Bergère est un ouvrage magnifique, utilisant un trésor d'archives françaises et canadiennes encore inédites ou examinées à nouveaux frais. À première vue, son étude s'occupe d'une toute petite histoire : l'affaire Bernonville de 1948-1951, relative à l'arrivée au Canada après la Libération de six collaborateurs et à leurs efforts pour acquérir la citoyenneté canadienne. Marc Bergère essaye ainsi « d'analyser les Vichystes hors des murs » pour contribuer à une [End Page 119] compréhension transnationale de son sujet. Il plonge dans le débat sur le syndrome de Vichy québécois, en montrant qu'une bonne partie de l'opinion québécoise était pétainiste, favorable à Vichy et collaboratrice. Le travail de M. Bergère trace ainsi la voie de la longue durée de l'affaire Bernonville, de ses origines, dans la France et le Québec de l'entre-deux-guerres, à ses rebondissements des années 1980 jusqu'à aujourd'hui. En outre, son ouvrage interroge le rôle du gouvernement et...

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