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Reviewed by:
  • Célestin Freinet. Un pédagogue en guerres (1914-1945) by Emmanuel Saint-Fuscien
  • Clément Collard
Emmanuel SAINT-FUSCIEN.–Célestin Freinet. Un pédagogue en guerres (1914-1945), Paris, Perrin, 2017, 256 p.

Après avoir réalisé une thèse remarquée sur les relations d'autorité et d'obéissance de la fin du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale 3, Emmanuel Saint-Fuscien poursuit et enrichit cette réflexion grâce à son dossier d'habilitation à diriger les recherches dans lequel il propose d'analyser les interactions et les circulations entre deux institutions travaillées par la question de la discipline : l'école et l'armée. Le mémoire original de ce dossier donne lieu à un ouvrage, Célestin Freinet, un [End Page 109] pédagogue en guerres (1914-1945), qui s'attaque à une figure centrale de la pédagogie française et mondiale, maintes fois étudiée par les sciences de l'éducation, notamment 4. L'exercice n'en demeure pas moins original et novateur, à plus d'un titre. La perspective adoptée par l'auteur est celle, assumée, d'une micro-histoire, de l'étude d'une trajectoire individuelle sur trois décennies, du départ de Freinet pour Saint-Cyr en avril 1915 jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'ouvrage ne se limite cependant pas à une biographie, mais repose sur l'hypothèse d'une centralité de la guerre chez Freinet, qui perdure bien après 1918, modèle sa pensée et structure son rapport au monde. Cette centralité, comme le rappelle l'auteur en introduction, a souvent été niée ou du moins occultée par les précédents travaux sur le pédagogue 5.

Emmanuel Saint-Fuscien s'attache à restituer l'expérience guerrière de Freinet, ce que lui permet l'exhumation de ses carnets de guerre, conservés aux archives départementales des Alpes-Maritimes. Cette source inédite permet d'accéder à l'intériorité de l'aspirant Freinet, durant ses mois de formation comme sous-officier, son expérience du combat depuis février 1916, jusqu'à sa blessure en 1917. Le prolixe Freinet fournit un témoignage à première vue exemplaire et classique de la vie de soldat pendant la Grande Guerre : longue attente avant d'être envoyé au front, trompée par le jeu, le tabac, l'alcool et surtout, dans son cas, l'écriture. L'activité littéraire de Freinet dans les premiers mois de la guerre structure son quotidien, oscillant entre le témoignage intime, par la pratique du carnet, et la correspondance qu'il entretient avec Marie-Jeanne, son amour de jeunesse, relation épistolaire obsédante. Au-delà de la mise au jour d'un nouveau « témoin » de la Grande Guerre, les écrits de Freinet fournissent un matériau idéal à l'auteur, puisqu'ils constituent un retour réflexif et immédiat du jeune sous-officier sur sa pratique, en particulier sur son rapport à l'autorité, ce qui permet d'apprécier les questionnements, les atermoiements, voire les revirements qui l'agitent entre 1915 et 1917. Emmanuel Saint-Fuscien montre que cette expérience non linéaire, loin d'être propre à un homme en proie au doute, s'explique par la spécificité de l'autorité en guerre, marquée par une reconfiguration permanente. Il convient d'opposer la discipline qui s'applique dans des institutions rigides, spatialement délimitées (école ou caserne) et celle qui prévaut au front où règne une élasticité à laquelle Freinet peine à s'adapter, ne comprenant que tardivement que la permissivité et la familiarité de l'arrière-front sont des exutoires compensant la nécessité d'une discipline absolue en première ligne.

La deuxième partie de l'ouvrage tend à montrer que cette expérience de l'autorité mouvante est formatrice de la pensée de Freinet, ce qui constitue un enseignement majeur ; loin d'être un ennemi inconditionnel de l'autorité, le sous-officier redevenu instituteur ne cesse de réfléchir à la meilleure manière de l'appliquer dans l'institution scolaire, tant du point de vue des...

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