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  • Je n'ai qu'une langue, ce n'est pas la mienne. Des écrivains à l'épreuve by Kaoutar Harchi
  • Alexandra Gueydan-Turek
Harchi, Kaoutar. Je n'ai qu'une langue, ce n'est pas la mienne. Des écrivains à l'épreuve. Paris: Pauvert, 2016. ISBN 2-72021-549-0. 295 p.

Dans cette ambitieuse étude, préfacée par Jean-Louis Fabiani, la sociologue et écrivaine Kaoutar Harchi s'interroge sur l'ascendance du centre littéraire parisien sur les "écrivains non français de langue française," et plus précisément sur les rapports de force en jeu dans l'adoubement de certains d'entre eux au panthéon littéraire français. Afin de mettre en lumière "l'économie des luttes" menées autour des écrits produits en dehors du contexte hexagonal, Harchi considère les deux versants de [End Page 257] la question. D'une part, elle se penche sur les processus de domination qui soustendent le champ littéraire français, avec ses instances de consécration officielles et officieuses (une grande place est accordée aux médias grand public), et tente d'éclairer en quoi les modalités qui président à la légitimation des auteurs francophones se distinguent de celles de la littérature dite "hexagonale." Ne s'embarrassant guère de nuances, Harchi déclare que les critères à l'aune desquels sont jugés ces textes participent du seul régime de valeurs extralittéraires, de "l'enchevêtrement de l'historique, du mémoriel, du politique, et de l'idéologique qui, de tout leur poids, surchargent le littéraire" (31). D'autre part, elle distingue un certain nombre de stratégies de résistance, de contournement, et de conciliation déployées par les auteurs en réponse à ces critères (32, 281). Ici, Harchi souligne tout autant la force que les limites de chaque posture auctoriale, sans pour autant s'attacher aux éléments esthétiques qui font la force de leur création littéraire.

Ne pouvant prétendre à l'exhaustivité, Harchi se concentre sur cinq auteurs algériens qui occupent une place privilégiée—quoique très différente—dans le champ littéraire français, et ce, d'autant qu'ils appartiennent à des générations différentes: à savoir Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Boualem Sansal et Kamel Daoud. Organisés par ordre chronologique, et encadrés par un prologue et un épilogue, cinq chapitres retracent la venue à l'écriture de chaque auteur, et les polémiques qui ont entouré chacune de leur inscription à la postérité littéraire française.

Le premier chapitre, "Des écrivains à l'épreuve," établit, dans une perspective diachronique, la domination littéraire qui lie l'écrivain algérien francophone à l'Hexagone. Des jalons historiques et sociolinguistiques sont posés pour décrire les conditions spécifiques de l'émergence de la littérature en Algérie. En s'appuyant sur les travaux d'historiens tels Benjamin Stora et Antoine Léon, auxquels s'ajoute une lecture rapide de Le Monolinguisme de l'autre de Jacques Derrida, Harchi ancre la pratique d'écriture de la première génération de romanciers algériens d'expression française entre militantisme artistique et aliénation culturelle. Elle retrace ensuite l'évolution de la place du français dans une Algérie où le "brutal mouvement d'arabisation" et le rejet du berbère font de la langue française "a fortiori en littérature, […] le marqueur d'une résistance au repli identitaire" (57). Or, comme l'ont démontré Anne-Emmanuelle Berger et plus récemment Tristan Leperlier, il s'agit là d'une vision contestable qui consiste à renvoyer dos à dos l'arabe et le français, où l'arabe se voit réduit à son seul contenu religieux, voire à partir des années 1990 à un outil de l'islamisation, alors que "le français [poussé] dans la clandestinité et le berbère dans les maquis […] retrouvent par là leur essence véritable, la fronde, le combat démocratique" (Sansal cité 57).

Le lecteur, pouvant passer outre cette analyse superficielle de la question linguistique, trouvera sans doute...

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