In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Europe de l'Ouest
  • Isabelle Roussel-Gillet

Le geste se veut militant de poser ici la poésie au cœur de la critique et d'une ouverture des frontières qu'elle pratique. C'est aussi se pencher sur l'actualité poétique pour rendre hommage à Michel Butor, décédé fin 2016, et dont les livres à quatre mains donneront naissance à un Manoir des livres en projet à Lucinges, un centre du livre d'artistes, entre Suisse et France.

La poésie "qui est l'art de fracturer le langage, de briser les apparences, de désassembler l'unité du temps" selon Agamben,1 permet des audaces transfrontalières [End Page 220] et éditoriales, ainsi de 136, publié aux Éditions Bruno Doucey, qui ne compte qu'un court poème en français, faisant l'objet de cent trente-six traductions dans les langues les plus parlées mais aussi dans des langues minoritaires, méconnues, que certains poètes ont côtoyées ou pratiquées. "Cet accent qui traîne/sur le papier/est un cil abandonné/j'aime les accents/étrangers …" Courage et poésie, ensemble, selon le vœu d'Agamben. À signaler que la revue Europe, contenant aussi des inédits, a consacré son numéro de janvier/février 2017 à Mahmoud Darwich, cet autre nomade, interrogeant les frontières. Il me souvient aussi de cette phrase de Degottex, que l'infini ne connaît pas d'accent2 quand, en mai 68, les poètes manifestèrent comme Michel Butor avec Bernard Dufour, le peintre qui illustra certains de ses poèmes. Nous voici cinquante ans plus tard, en 2018, dans des temps tout aussi travaillés par une nécessité de résister aux rouleaux compresseurs du système. La poésie peut se fêter chaque jour sans attendre le printemps des poètes. Ce dernier aussi fêtera un anniversaire, plaçant sa vingtième édition sous la bannière d'un mot: ardeur.

"Des mots à la hauteur des temps. L'ardeur est de ceux-là dont l'énergie durable peut se dire dans toutes les langues de la terre" écrit Sophie Nauleau,3 la directrice artistique du Printemps des poètes. Citons un autre anniversaire, celui du numéro 10 de la revue annuelle des Cahiers J.-M. G. Le Clézio, intitulé "habiter la terre" sous l'égide de Rachel Bouvet et de Claire Colin, qui croise les approches géopoétiques et écocritiques, et ce croisement s'affirme comme très fécond. Outre le poète Jean Désy, l'invitée de ce numéro est l'artiste végétal Sandrine de Borman, qui a créé pour cette occasion un carnet en lisant trois romans lecléziens du cycle mauricien et en procédant à une collecte de feuilles d'arbres. Une autre manière de glaner, d'écrire, et d'habiter le monde en poète. Et pour ce faire, la créativité consiste aussi à penser des leviers comme faire fleurir des printemps poétiques: ainsi de la deuxième édition du Printemps de la poésie de Lausanne, impulsée par Antonio Rodriguez, dont nous citons ici quelques lignes empruntées au site poezibao, véritable verger-monde de poésie, ressource indispensable pour qui veut suivre l'actualité de la poésie francophone. "Nous sommes dans une période incroyablement intense pour la poésie, une période historique du passage au numérique, avec un monde occidental aux puissances intellectuelles, éthiques et sensibles étonnantes, avec des vues globales et multipolaires, mais proche aussi, terriblement proche et fasciné par l'anéantissement. C'est une magnifique époque pour la poésie! Qu'en faisons-nous personnellement, collectivement?"4 [End Page 221]

Isabelle Roussel-Gillet
Université d'Artois, France

Footnotes

1. Georges Didi-Huberman. Survivances des lucioles. Paris: Minuit, 2009, 59. Cité dans Poezibao, 17 juin 2017. Web. 12 novembre 2017.

2. Jean Degottex. "L'Infini n'a pas d'accent." Lithographie sur papier. 1968. Affiche.

3. Voir "Le Printemps des poètes," sur le site Lesdechargeurs.

4. Florence Trocmé. "Entretien avec Antonio Rodriguez. 'Mobiliser tous les acteurs du réseau poésie.'"

pdf

Share