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  • Hommage à Yambo Ouologuem (1940–2017)
  • Véronique Porra

Yambo Ouologuem est mort le 14 octobre 2017 dans son village de Sevaré au Mali où il vivait retiré depuis de nombreuses années.

Son roman Le Devoir de violence, couronné par le Prix Renaudot en 1968, fera la même année l'objet d'accusations de plagiat réitérées: à une période où la littérature africaine est censée se faire témoignage ethnographique ou porter un discours engagé, la (post)modernité de cette œuvre, aujourd'hui reconnue comme un texte majeur, restera longtemps incomprise. Cet épisode fondateur marquera à jamais l'histoire tumultueuse d'une écriture et d'une voix: celle d'une esthétique de la virulence, de l'excès et de la rupture qui sans cesse provoquera ou se heurtera à des dérives polémiques.

Auteur au destin littéraire et personnel tourmenté, Ouologuem, dont la voix puissante continuera de résonner comme un écho majeur dans l'histoire des littératures africaines de langue française, laisse une œuvre complexe, faite de fulgurances et d'obscurités.

Pierre Bisiou, qui a réédité ses principaux textes aux Éditions du Serpent à Plumes, lui rend hommage.

  • Yambo Ouologuem est mort
  • Pierre Bisiou1 (bio)

Yambo Ouologuem est mort. Yambo Ouologuem est remort. Lui qui n'en manifesta guère. J'ai posé devant moi ses livres, trois éditions disparates. Je range à côté les deux livres parus au Serpent à Plumes il y a longtemps déjà. Je suis fier d'avoir réédité Le Devoir de violence et Lettre à la France Nègre. Je suis soulagé de n'avoir pas réédité Les Mille et une bibles du sexe, par respect pour l'auteur; la mainmise colonialiste aura toujours pesé sur son œuvre.

Je touche du bout des doigts la première édition somptueuse de la Lettre à la France Nègre. Je me dis que nous ne saurons sans doute jamais le fin mot de l'histoire quand j'entends hurler de rire derrière moi le cadavre tout en dents de Bolya.2 [End Page 1] Il rit, il rit notre vieil ami! Il me raconte pour la centième fois ces scènes hilarantes et orgiaques où Yambo Ouologuem tient le haut et le bas du panier, il me raconte, les larmes dans ses yeux qui roulent dans la tombe, un autre Yambo que celui qu'enterrent quelques notules dans la presse ces jours-ci.

Le problème, c'est que d'autres Yambo nous ne manquons pas. J'entends Ava Ouologuem défendre avec acharnement la mémoire de son père; il est question de complots ourdis dans les salons littéraires pour précipiter la chute de l'écrivain, il est question de falsifications, de mémoire salie. J'entends aussi bruisser les feuilles du volumineux dossier conservé aux archives par son premier éditeur. J'entends une femme qui l'a connu se taire, tout cela est loin, les années 1970, allons. J'entends certains écrivains se déchirer les muscles en tentant d'acrobatiques grands écarts, célébrant le triomphe du Renaudot et stipendiant l'opprobre post- plagiat, oubliant que ce furent les mêmes qui firent le roi et brisèrent ensuite sa couronne. J'entends quelques voix très lointaines raconter un Yambo Ouologuem retiré au Mali, confit en dévotion, l'égaré de Sévaré.

Dans Les Trois Rimbaud, ouvrage mince et profond, Dominique Noguez se penche sur les trois vies d'Arthur, la poésie et les amours parisiennes, l'Afrique et les trafics, enfin le retour en France jusqu'à son entrée à l'Académie en 1930. Il a dû entendre des voix.

Je range les livres dans ma bibliothèque, les voix de Yambo flottent encore dans l'air.

Paix à Yambo Ouologuem, homme de lettres.

Pierre Bisiou

pierre bisiou est directeur éditorial du Serpent à Plumes. Il est l'auteur d'un roman paru chez Stock en 2008, Enculée. Il a également co- traduit plusieurs roman-ciers coréens dont Haïlji, Kim Un- su, Kim Young- ha et Jeong Yu- jeong. Né en 1965, il vit en Normandie et à Paris...

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