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  • À L'Encre sympathique:Pseudotraduction et mémoire littéraire
  • Louis Watier

Si depuis les ouvrages récemment dirigés par Beatrijs Vanacker en collaboration avec David Martens et Tom Toremans, la pseudotraduction commence à être abordée sous l'angle de la fiction, elle a cependant été longtemps envisagée, et continue de l'être, à la suite de Gideon Toury, d'un point de vue essentiellement interculturel. Telle perspective, qui a prouvé sa fécondité, avec les études de Shelly Yahalom notamment (Yahalom 153-54), a été développée au sein des Descriptive Translation Studies à partir des années 1990 et de l'article de Douglas Robinson dans la première édition de la Routledge Encyclopedia of Translation Studies. Mais dans ce développement la définition du terme « pseudotraduction » était étendue à tout type de texte faisant apparaître des traces de traduction. Si la seconde édition de la même encyclopédie proposait une définition plus restreinte, c'est de l'aveu même de son auteur,1 la première qui a reçu la plus grande audience et qui continue d'orienter une grande majorité des recherches consacrées au phénomène. Pourtant une telle définition prête le dos à la critique, dans la mesure où elle étend le champ d'application du terme pseudo-traduction de manière indéfinie. C'est pourquoi il semble nécessaire d'en réévaluer les enjeux. Par ailleurs, plaider pour une définition restreinte de la pseudotraduction ne doit pas constituer un renoncement théorique. On espèrera au contraire, y déceler les charmes d'une histoire littéraire cryptée, dont les œuvres s'écrivent entre les lignes des bibliographies officielles. Car en mimant le geste de la redécouverte, la pseudo-traduction participe de cette anamnèse qui rend toute tradition vivante, et que Judith Schlanger a décrit en de très belles lignes dans Présence des œuvres perdues :

Les œuvres retrouvées nous plongent dans l'inverse de l'irrémédiable : non plus l'absence, le dommage et le manque, mais au contraire le supplément de présence. Le rapport au passé change : le passé n'est plus une zone livrée à la mélancolie du temps. Ce n'est plus un passé d'engloutissement et d'abîme, car ce n'est plus un passé révolu et définitif. C'est au [End Page 755] contraire un passé donateur, effervescent, qui continue à produire des effets et apporter des surprises. C'est un passé résurgent, inachevé, qui n'est pas clos mais qui déborde sur le présent pour l'enrichir.

(Schlanger 35)

La pseudotraduction : une définition interculturelle

La théorie des polysystèmes : présupposés théoriques

Voulant fonder une science de la traduction qui soit à la fois autonome, et partie prenante d'une théorie de la littérature, Itamar Even-Zohar en vient à élaborer pendant les années 1970, le concept de polysystème. S'inspirant des formalistes russes, notamment de Tynjanov et Exenbaum, il entend décrire la littérature de manière systémique, c'est-à-dire comme un réseau de strates plus ou moins hiérarchisées dont l'analyse scientifique devra mettre au jour les lois d'interaction. Chaque œuvre résulte d'un ensemble de facteurs divers qui forment son système, et les liens qu'elle tisse avec d'autres œuvres littéraires constituent à leur tour un système plus vaste. Even-Zohar définit le polysystème comme l'ensemble des systèmes, littéraires ou non, qui entrent en relation dans la production ce que l'on considère comme le fait littéraire.2 Son ambition se veut donc clairement polémique : il s'agit de battre en brèche une analyse de la littérature qui soit uniquement attachée à l'étude synchronique des textes canoniques.3 Une œuvre littéraire ne saurait être décrite en dehors de tout ce qui d'une manière ou d'une autre serait à même d'entrer en résonance avec elle. Le système se comprend donc de mani...

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