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  • Barthes hier et aujourd'hui :la critique comme échappée
  • Tiphaine Samoyault (bio)

Il est possible de partir de notre présent pour poser le constat de la critique comme échappée, en prenant acte des nombreuses manifestations qui ont eu lieu autour du Centenaire de Roland Barthes en France et dans le monde. La première observation est que la reprise critique de Barthes apparaît encore à beaucoup, et peut-être plus que jamais, comme un geste nécessaire et que celui-ci fait figure, dans beaucoup de démarches, d'accompagnant majeur.

Qu'accompagne-t-il, et comment? Ces questions vont guider ma réflexion et elles vont me permettre de reprendre à mon tour les traits notables d'une pratique critique qui s'exerce dans l'écart, en particulier l'écart de l'écriture, et dont le formalisme ne fait pas système mais constitue bien une recherche de forme. La marque de Nietzsche est réelle sur l'invention d'un discours refusant la dissertation et le traité et faisant du corps le point de départ de l'interprétation. De même ni Nietzsche ni Barthes ne font du « pour moi » le fondement d'un relativisme, mais l'occasion de placer le lecteur, le commentateur, dans une disposition de pensée et d'accès à la vérité. Le comprendre, c'est aussi prendre la mesure d'une extraordinaire pensée de la lecture et du lecteur, d'où procède une politique de la critique qui est peut-être ce qui manque le plus aujourd'hui et que l'on vient, plus ou moins confusément, rechercher dans l'œuvre de Barthes. [End Page 890]

Echappées

Partant du constat que l'on n'échappe pas au sens – l'énoncé revient plusieurs fois, sous des formes différentes, à partir de S/Z1–, l'échappée devient le nom de ce qui libère du sens. Cette libération peut advenir par la musique : ainsi celle de Schumann, inactuelle, non territoriale, est de tous les pays comme de tous les temps. Pour aimer (et Barthes associe indissolublement l'entente – au double sens d'écoute et de compréhension – à l'amour2), il faut qu'existent ces formes d'échappées vers l'inconnu, ouvrant le temps et le territoire. Cela peut venir ainsi d'un contretemps ou d'une surprise de l'espace : la beauté du pays de l'enfance, qui est aussi le pays élu, le Sud-Ouest, tient certaines courbes du paysage qui permettent des échappées libérant la beauté de la lumière et de l'Adour : « dans une échappée, le fleuve, très large, très doux, piqué des petites voiles blanches d'un club nautique3. » Les sens spécialisés du terme d'échappée, sens architectural (c'est l'espace qu'on laisse entre un escalier et la voûte ou le plafond) d'où procède par ellipse ce sens d'espace libre, mais resserré, par lequel une vue peut plonger de loin ; sens musical où une échappée, parfois appelée anticipation indirecte, est une note étrangère placée sur un temps faible ou une partie faible de temps, une note de passage, en quelque sorte–, ces sens spécialisés sont régulièrement activés. Mais c'est l'acception métaphorique qui est la plus intéressante, celle qui ordonne un programme critique contre la dictature du sens et la pesée d'un certain type de discours. Alors le mot « échappée » apparaît non comme la fuite, mais comme le point de fuite, comme l'horizon ou comme la sortie heureuse : par exemple contre la rhétorique – ainsi la force de Michelet est définie comme « l'excès de son texte, son échappée loin de toute rhétorique4 » – ; ou encore contre le théorique : lorsqu'une théorie est nécessaire, il importe d'indiquer aussi « ses échappées possibles5 ». Des contraintes aussi diverses que le code, le couple monogame, le classement, la censure, l'aliénation, la loi, le théâtre de la parole, le classico-centrisme, impliquent qu'on s'en...

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