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  • Désir de lire, désir de traduire
  • Jena Whitaker (bio)

Au commencement de son essai « Le plaisir du texte » publié en 1973, Roland Barthes relie le plaisir du lecteur au mythe biblique de Babel, lequel relate le mélange des langues par Dieu. Barthes évoque ce mythe de Babel afin de le retourner. Mais pourquoi un tel renversement du mythe était-il nécessaire?

Selon Barthes, pour renverser ce mythe biblique, il ne faut plus interpréter Babel en tant que punition. Il suggère que Babel soit plutôt un don, don qui ne serait pas celui d'une seule langue, mais celui d'une pluralité de langues. Il écrit : « …le vieux mythe biblique se retourne, la confusion des langues n'est plus une punition, le sujet accède à la jouissance par la cohabitation des langages, qui travaillent côte à côte : le texte de plaisir, c'est Babel heureuse » (Le plaisir 10). Pour Barthes, une Babel heureuse est une autre manière de désigner le texte comme source et lieu de plaisir. À cet égard, une Babel heureuse est un texte capable de produire un « désir d'écrire » chez le lecteur, car selon Barthes, c'est la lecture du texte de plaisir qui est « conductrice » du « désir d'écrire… » (« Sur la lecture » 45).

Barthes lie ce mythe de Babel au lecteur, à la pluralité des langues et au plaisir, mais curieusement, il ne le lie pas ouvertement, comme l'on pourrait s'y attendre et comme d'autres l'ont pourtant fait, à la traduction. On peut penser ici à plusieurs études portant sur la traduction [End Page 821] et inscrivant Babel dans leur titre1. On pense notamment au célèbre travail de George Steiner publié en 1975, After Babel: Aspects of Language and Translation, texte auquel Umberto Eco fait référence dans la préface de son étude La Recherche de la langue parfaite : « Je regrette simplement que George Steiner se soit adjugé le titre le plus approprié pour ce livre, Après Babel, avec presque vingt ans d'avance. Chapeau! » (18). Pour les critiques littéraires s'intéressant à la traduction, le mythe de Babel était incontournable car il impliquait non seulement la nécessité de la traduction, mais également son impossibilité. Évoquant ce mythe dans son essai « Des tours de Babel », Derrida commence en remarquant que Babel est « le mythe de l'origine du mythe, la métaphore de la métaphore, le récit du récit, la traduction de la traduction » (209). De même, Henri Meschonnic décrit ce mythe à plusieurs reprises. Il l'a même traduit. Dans son essai « L'atelier de Babel », il commente sa traduction, soulignant que cette histoire biblique est « la scène primitive de la théorie du langage, et de la traduction » (558). En considérant ce lien intime entre la tour de Babel et la traduction, on pourrait alors se demander pourquoi Barthes ne fait pas allusion à cette nécessité de « traduire ».

Si Barthes ne mentionne pas la traduction au moment où il évoque ce renversement du mythe de Babel, c'est peut-être parce qu'il était pessimiste à « l'égard de la traduction » telle qu'elle est souvent pratiquée, c'est à dire, selon lui, d'une manière limitée : « … affolement devant les questions des traducteurs, tant ils paraissent souvent ignorer ce que je crois être le sens même d'un mot : la connotation » (Roland Barthes par Roland Barthes 691). Néanmoins, même si Barthes a exprimé un pessimisme vis-à-vis des pratiques de la traduction qui limitent le sens aux effets de dénotation, il semble qu'il puisse nous aider à concevoir une autre pratique de la traduction, une pratique révélatrice des questions critiques portant sur la nature symbolique du langage. Ce serait une pratique de la traduction prenant en compte non seulement la dénotation, mais également la connotation.

Barthes considère que les traducteurs sont du côté de la dénotation, car en mettant l'accent sur la fonction référentielle du langage, ceux-ci renvoient le signe à un objet extérieur à la langue. Cette façon de traduire pose...

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