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Reviewed by:
  • Insanity and Sanctity in Byzantium. The ambiguity of religious experience par Youval Rotman
  • Vincent Déroche
Rotman, Youval–Insanity and Sanctity in Byzantium. The ambiguity of religious experience, Harvard University Press, 2016, 256 p.

Le titre de ce livre original peut induire le lecteur en erreur : chronologiquement, l'étude remonte jusqu'au IIIe siècle au moins et ne dépasse que marginalement l'Antiquité tardive ; hormis quelques mentions rapides d'André Salos et d'autres [End Page 481] « saints fous » médiévaux, la sainte folie de la Byzance médiévale est à peine décrite. Thématiquement, cet ouvrage porte non seulement sur le saint fou byzantin (salos), mais sur deux autres formes de « folie » chrétienne, l'acceptation du martyre et l'ascèse. La structure le confirme : après le prologue, « Insanity and Religion », viennent une première partie consacrée à la sainte folie, « Sanctified Insanity », puis une seconde, « Abnormality and Social Change », subdivisée en « Insanity and Martyrdom » puis « The Ascetic Totem » ; néanmoins, l'accent est bien mis sur la sainte folie, les deux autres pratiques n'étant convoquées qu'en parallèle. Rappelons que les saloi byzantins sont censés être des moines saints mimant la folie en public et utilisant ce masque de la folie à la fois pour accéder personnellement à la perfection et pour agir sur autrui.

Reprenant à la suite de Foucault une définition essentiellement sociale de la folie (est folie ce que la société reconnaît comme telle), tout en intégrant (à moitié) les caveat de Gauchet sur la réalité clinique du phénomène, l'auteur souligne à juste titre l'évidente difficulté de délimiter exactement le domaine de la folie, celle-ci créant une ambiguïté irréductible. Or l'auteur montre que cette ambiguïté se retrouve, positivée, dans les théories psychologiques récentes où, dans la relation entre soignant et soigné, elle est une condition nécessaire de la thérapie (en particulier chez Winnicott). Comme le saint fou est par nature ambigu (saint ou fou ?), cette ambiguïté lui permet de transformer la société comme un thérapeute transforme son patient (et est transformé en retour), dans un renversement effectivement typique du salos. La folie devient ainsi « socialement fonctionnelle » par son ambiguïté même, un peu comme les phénomènes sociaux du martyre et de l'ascèse chrétienne ont transformé la société par des ambiguïtés et des renversements analogues–d'où l'unité du propos du livre.

Cette perspective résolument sociologique et psychologique donne de belles formules au fil des pages, mais se heurte à des problèmes méthodologiques graves que l'auteur semble n'avoir pas perçus malgré une bibliographie impressionnante en sciences humaines. En est emblématique l'usage qu'il fait de la brillante étude de Certeau sur la salè des Tabennésiotes, faite dans une perspective théologique, visant ce que peut apporter une figure du passé à une spiritualité contemporaine : ce n'est pas de l'histoire, cela ne vise pas à être représentatif des réalités byzantines, et il faut donc l'utiliser avec précaution quand on veut faire de l'histoire.

Le présent livre cite davantage les sciences humaines modernes que les sources byzantines au risque d'une projection du présent sur le passé qu'il n'évite pas toujours. Ainsi, l'ambiguïté est-elle présente dans la vie réelle des saloi ou dans leur hagiographie ? Évidemment uniquement dans leur vie réelle (pour ceux qui ont bien existé), et même là pas toujours ; en tout cas, aucun lecteur byzantin de la Vie de Syméon Salos ne doutait de la sainteté de Syméon que ses contemporains ignoraient en général (à en croire son hagiographe !). Mais ce n'est que dans le monde enchanté de l'hagiographie que le salos est « socialement fonctionnel » et que Syméon met fin au péché à Émèse : tous les commentateurs ont bien noté au contraire que les saloi sont au fond terriblement conservateurs et ne changent en rien la sociét...

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