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  • Les Petits Livres d’Or. Des albums pour enfants dans la France de la guerre froide by Cécile BOULAIRE
  • Sylvain Lesage
Cécile BOULAIRE. – Les Petits Livres d’Or. Des albums pour enfants dans la France de la guerre froide, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, « Iconotextes », 2016, 246p. Préface de Jean-Yves Mollier.

Le sous-titre de l’ouvrage de Cécile Boulaire ne manque pas d’intriguer : en quoi Notre ami chien, Les Chatons barbouilleurs ou Le Caneton vagabond peuventils constituer une littérature de guerre froide ? L’auteure déploie avec beaucoup de finesse ce paradoxe. Car si le roman noir, la science-fiction ou la bande dessinée ont [End Page 181] abondamment été étudiés par les historiens et les littéraires à l’aune de la guerre froide 18, l’étude de la littérature pour la jeunesse s’est assez largement développée hors-sol. À travers l’étude d’une collection qui se fait en partie l’écho de l’affrontement idéologique, le travail de Cécile Boulaire constitue donc aussi un plaidoyer fort pour un croisement méthodologique accru des apports de l’histoire économique, sociale, politique et culturelle.

Lancée en 1950 par Flammarion à travers un pudique paravent – tout comme Hachette, en 1934, qui publiait le Journal de Mickey à travers une société-écran – la collection des « Petits Livres d’Or » apparaît en plein débat autour de la reconstruction matérielle et morale du pays, et dans le contexte brûlant, pour les productions destinées à la jeunesse, de l’adoption de la loi de 1949. Proposant vingt-huit pages illustrées en quatre couleurs, sous un cartonnage résistant, vendus 95 francs, ils s’imposent dans les foyers « pas tant à cause de leur prix […] qu’en raison de leur aspect flatteur et d’un mode de commercialisation rompant avec les habitudes installées » (p. 18).

La réception de ces titres, à la fois par les enfants et par la critique, est en effet largement conditionnée par leur statut d’objet d’importation. Aux enfants, la collection décline un imagier non dépourvu de référents exotiques, pour un rapport prix/qualité d’impression imbattable. La collection décline l’initiative de la Western Publishing, le premier imprimeur mondial qui, en association avec Simon and Schuster, lance les « Little Golden Books » en 1942, trois ans après avoir fondé Pocket Books. Dans le chapitre 5, « Les Little Golden Books, une aventure américaine », l’auteure rappelle les grandes étapes de cette élaboration américaine et son succès colossal.

Dès lors, alors qu’étudier sa déclinaison française pourrait faire courir le risque de se concentrer sur un épiphénomène, l’auteure analyse les transferts culturels qui conduisent à leur publication en France, car « la manière dont les livres furent traduits, financés, produits, distribués et reçus laisse percevoir les profondes mutations qui affectent l’édition pour la jeunesse de l’après-guerre » (p. 107). Dans cette histoire française, un homme joue un rôle déterminant, Georges Duplaix, dont Cécile Boulaire dresse par petites touches un portrait partiel. L’objet reste bien une collection de livres pour enfants, et non ce singulier personnage, Français émigré aux États-Unis, qui contribue à l’importation américaine des artistes et sensibilités issues des « Albums du Père Castor » avant de lancer, devenu citoyen américain, une entreprise d’introduction en France d’albums perçus comme « américains » – et qui doivent en réalité beaucoup au creuset artistique européen, en particulier russe. Écrivain, traducteur d’Hemingway (p. 135), illustrateur, c’est comme éditeur qu’il connaît les plus grands succès ; le plus intriguant reste cependant les liens entretenus par Duplaix avec la CIA (chap. 12, « Georges Duplaix, un homme aux multiples facettes »), et ses relations étroites avec Allen Dulles et Pierre de Bénouville. Dès lors, la collection des « Petits Livres d’Or » constitue-telle une simple couverture pour pratiquer des activités clandestines, ou un projet de « conversion » des esprits européens (p. 213) ? S’étant vu refuser...

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